10 Janvier 2011
J’ai sous les yeux la dédicace manuscrite que François Mitterrand a apposée pour un ami en première page d’une édition de 1975 de « La paille et le grain ». F m’a prêté, il y a quelques temps déjà, ce recueil de chroniques que je souhaitais lire. Je m’aperçois d’ailleurs ce soir qu’il est grand temps que je pense à lui rendre le précieux ouvrage. Comme je sais qu’il est averti de chaque nouvelle publication sur ce blog, ce petit rappel peut servir…
Je parcoure depuis hier les échos retransmis par la presse du grand rendez vous socialiste de Jarnac auquel a donné lieu la commémoration du 15ème anniversaire de la mort de l’enfant du pays devenu Président de la République. Je lis et j’écoute les déclarations des uns et des autres sur ce qu’il faut retenir de ses deux présidences successives. Ce ne sont évidemment que louanges et reconnaissance envers le legs politique à la France laissé par de ce deuxième grand homme. L’autre le dépassant quand même toujours d’une tête comme l’a maintes fois rappelé Jean Lacouture, leur biographe commun.
La résilience a marché on ne peut mieux et il n’est plus question aujourd’hui de droit d’inventaire dans les rangs socialistes. J’ai même cru noter dans la presse nationale, mais surtout locale, d’habitude si critique pour le pouvoir sur des tas d’aspects assez mineurs, une certaine propension à idéaliser ces années Mitterrand. C’est l’intérêt du temps qui passe. On ne se souvient plus que du président cultivé, maniant si bien la langue, occupant la fonction avec dignité, à la fois hiératique dans les grandes circonstances et se promenant très simplement dans les rues de Paris à la recherche d’un ouvrage rare chez un bouquiniste, amoureux de la France profonde, de la nature, de la géographie, de l’Histoire, un sage. L’abolition de la peine de mort, l’Europe, les lois sociales et la libéralisation des radios et des télés, voilà ce qui nous est rappelé en boucle par ceux qui forment le projet de lui succéder. A droite il faut être gaulliste et à gauche mitterrandien pour briguer la fonction suprême. Par moments je me demande même s’il ne devient pas nécessaire d’être les deux, quelque soit le camp politique dont on se revendique.
Il va de soi que j’ai un regard nettement plus critique sur la politique conduite par François Mitterrand entre 1981 et 1995 et que la fable que j’entends depuis hier m’agace fortement. Pour autant je m’interdis de porter un jugement sur l’homme François Mitterrand. Il est sans doute, après le Général de Gaulle, le personnage politique que j’ai le plus cherché à comprendre et j’ai dans ma bibliothèque au moins autant d’ouvrages le concernant que de livres relatifs à l’homme du 18 juin 1940. C’est pour cette raison que j’ai souhaité aujourd’hui feuilleter certains de ces livres pour me rappeler ce personnage de roman complexe, tout à la fois pétri de culture, terriblement secret et ambigu, presque trouble, déroutant, fin politique, combatif et courageux.
« La paille et le grain », je viens une nouvelle fois d’être subjugué par les premières pages de ce recueil de notes et textes paru en 1975. François Mitterrand y décrit de manière admirable, avec cette plume d’écrivain reconnu, sa relation au général de Gaulle depuis le moment ou il apprend son existence alors qu’il est sur le front, peu avant d’être fait prisonnier, puis lors de la première rencontre à Alger et tout au long de leur parcours parallèle jusqu’à la mort du Général en 1970.
Quelques soient les griefs que l’on puisse légitimement avoir à l’égard de l’action politique de François Mitterrand, il est prudent de se rappeler la stature du personnage.
Ces précautions prises, je crois en revanche qu’il nous est bien plus utile de garder un regard critique très lucide sur ses années de présidence plutôt que de tout repeindre en rose et d'en tirer argument pour concentrer les critiques sur le seul présent.
Parce que le mitterrandisme que j’ai vécu, c’était des nationalisations et des ministres communistes à moind de huit ans de la chute du mur de Berlin. C’était le renoncement in extrémis à quitter le système monétaire européen et le tournant de la rigueur qui a suivi en 1983. Un aveu que les choix économiques de 1981 étaient catastrophiques. C’était aussi un président de la République qui avait annoncé la transparence de ses bulletins de santé lors de son élection et dont on a appris douze ans plus tard qu’il nous avait menti depuis le premier jour. Puisque comme le disait à voix basse Roger Hanin, son beau-frère, « déjà, avant mai 1981… ». Et puis il y a cette modification du suffrage majoritaire décidé après des élections cantonales très mauvaises pour les socialistes. L’adoption en conseil des ministres du projet de loi visant à instituer un scrutin proportionnel faisant démissionner sur le champ Michel Rocard et entrer 35 députés du front national à l’assemblée en 1986. C'est aussi le Crédit Lyonnais nationalisé qui perd des fortunes et démontre que ce n’est décidemment pas le métier de l’Etat d’être le banquier de Bernard Tapie. La démonstration des dangers du dirigisme d'Etat coûte alors très cher et la morale politique prend des coups sévères. Et puis quand même à l’heure où l’on veut nous rappeler la belle allure de la présidence en ce temps là, j’ai envie de rappeler les moyens considérables mis en œuvre par la république pour héberger et protéger la deuxième famille du président. Une quinzaine de policiers, une fausse cellule antiterroriste à l’Elysée qui écoute tout le bottin mondain, un appartement de 250 m2 et une résidence de la république rénovée pour les week-ends. En ce temps là le président ne prenait pas l'initiative de faire contrôler les comptes de l'Elysée. Son successeur est encore poursuivi pour quelques emplois bien réels, mais considérés fictifs, puisqu’ils ne servaient pas directement la collectivité qui les employait. Les proportions de l’abus ne m'apparaissent pourtant pas tout à fait du même ordre. Bien entendu l'ampleur de l'un ne discuple aucun autre qui aurait pu exister.
Je ne parle même pas des parties de golf et de l’influence politique d’André Bettencourt, de François Dalle ou de Patrice Pelat. J’ai le plus grand respect pour eux, mais le soutien financier de l’Oréal dans la carrière de François Mitterrand a quand même été autrement plus réel que pour Eric Woerth. Et puis cette relation qui perdure très longtemps avec René Bousquet, elle ne peut pas être oubliée comme ça. Et je n'évoque même pas la mise en perspective de l'abolition de la peine de mort de 1981 avec le rôle déterminant du ministre de l'intérieur Mitterrand dans le refus de gracier les 45 militants du FLN qui furent guillotinés entre 1956 et 1957.
Il est toujours important de remettre en perspective ce que nous vivons avec le passé pour tenter d’améliorer ce qui peut l’être à partir de références bien choisies. Mais il n’est pas inutile non plus d’appliquer la grille d’évaluation d’aujourd’hui aux pratiques passées. Ce souci d’objectivité donnerait plus de pertinence à certaines critiques actuelles.
A partir de là je conseille vivement aux futurs candidats à la présidentielle à gauche de développer leur propre originalité et d’éviter de se référer à l’image par trop béatifiée de Mitterrand. J’espère à tout le moins que les électeurs ne se laisseront pas trop influencer par ce marketing posthume indécent et trompeur.
Mais la revendication par Ségolène Royal de l'héritage, sa volonté de succéder au grand socialiste qui portait si bien le chapeau, suffisent à sans doute à éclairer les français.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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