5 Janvier 2011
J’ai une décision scabreuse à prendre ce soir. Est-ce que je poursuis l’écoute de Bruce Springsteen et de sa chanson qui a fait polémique en 2000, « 41 shots », ou est-ce que je me mêle du débat sur les « 35 heures », que j’abhorre. C’est plus fort que moi, il suffit que j’entende « 35 heures », pour que je ne sois plus tout à fait dans mon état normal. J’ai trop souffert à l’époque de voir se pâmer les uns et les autres devant cette fabuleuse innovation qui allait nous permettre de travailler mieux, de rendre de meilleurs services aux clients et surtout de travailler tous par l’effet miraculeux du partage de l’emploi en gagnant autant sans que ça coûte un rond à personne, pour ne pas glisser mon grain sel d’amer dans le débat.
Alors, y a-t-il encore aujourd’hui un problème avec les « 35 heures » et si oui, quel est-il ?
La durée légale du travail est de 35 heures par semaine. Au-delà ce sont des heures supplémentaires. Elles valent 25% plus cher, sont exonérées de retenues et non imposables pour le salarié. Le coût des charges sociales pour l’employeur est atténué forfaitairement de 1.50 euro par heure, ou à peu près. Contrairement aux idées reçues et véhiculées en boucle par les médias, les heures supplémentaires coûtent donc toujours nettement plus cher qu’une heure normale pour l’entreprise. L’effet de levier sur le revenu est pour le salarié. Je n’arrive d’ailleurs toujours pas à comprendre comment peut perdurer la désinformation manifeste et généralisée sur le sujet. Je dois quand même signaler que les Echos aujourd’hui ont rappelé cette évidence. Mais le grand public lit-il les Echos ?
La durée légale de travail n’est pas, bien entendu, la durée maximale du travail. Le seuil de déclenchement du repos compensateur est au-delà de 42 heures de travail hebdomadaire. Enfin, dans certains cas, lorsqu’il n’y a pas eu d’accord de réduction de temps de travail subventionné dans l’entreprise, sinon c’est moins.
« J’approximationne », je sais, mais c’est pour ne pas avoir à payer de droits d’auteur à Légifrance, site auquel je vous renvoie si vous êtes tentés par toutes les nuances imaginées par le législateur, toujours plus créatif pour complexifier que pour simplifier. Pour paraphraser Alan Greenspan dont la cote a bien baissé ces temps-ci, le législateur doit se répéter en permanence cette citation célèbre qu’on lui attribue et qui dit ceci : « si vous m’avez compris, c’est que j’ai du mal m’exprimer ».
Aujourd'hui donc, même si pour certains artisans ou autres stakhanovistes de tout poil, ce temps de travail a toujours des allures de temps partiel, on peut quand même reconnaître qu’il est possible d’avoir des semaines de boulot assez bien remplies.
Alors, il est où le problème ? Peut-être est-ce le coût de revient pour l’entreprise des heures dites supplémentaires entre 35 et 42 heures? Oui bien sûr, les heures supplémentaires sont plus chères. Mais lorsque l’on calcule le coût de revient d’un mois de travail qui intègre par exemple quatre heures supplémentaires par semaine majorées de 25% et que l’on divise ce montant par le nombre d’heures totales travaillées, eh bien, le coût horaire unitaire n’est augmenté que de 2.5% par rapport à une heure normale. Ce surcoût confronté à l’avantage de faire tourner un peu plus du matériel, ou tout simplement pour bénéficier d’une plus grande disponibilité d’un salarié qui se comporte ainsi bien moins en « temps partiel » et qui apprécie aussi une meilleure rémunération, est très souvent perçu comme « rentable » pour l’employeur. En revanche, dans certains cas, la diminution des allègements de charges sociales liée à l’augmentation du revenu brut mensuel a un effet sur le coût horaire beaucoup plus sensible qui est sans doute plus dissuasif.
Le problème est donc ailleurs. Et Manuel Valls comme Hervé Novelli, s’ils ne l’expriment pas clairement y pensent très fort. Ils sont presque exclusivement préoccupés par l’addition dans le budget de l'Etar des montants liés, dans un premier temps, à l’accompagnement du passage aux 35 heures pour en amortir le coût pour les entreprises, et dans un second, à la compensation de l’absence de retenues sur les heures supplémentaires et à leur défiscalisation pour les salariés. Ces bombes à retardement budgétaires sont issues d’une première loi d’une bêtise crasse, économiquement criminelle, et d’une seconde nécessaire pour prendre le contrepied de l’illusion ambiante et libérer les énergies. Mais dans les deux cas, il a fallu ponctionner l’économie du pays par des impôts et compléter par des déficits, soit pour reverser, soit pour compenser une recette moindre. Et quand les déficits publics deviennent abyssaux comme maintenant après la récession que nous avons connue, plutôt que d’augmenter encore les impôts, la tentation devient très grande de réduire ces dépenses là. Ce qui correspond de toute façon à une forme de hausse d’impôts pour les entreprises, mais aussi pour les salariés à qui l’on sucrerait les absences de retenues et l’impôt non appelé. Voilà en tout cas un relèvement des impôts de 22 milliards qui commence à sembler à certains de nos élus parfaitement incontournable. Mais personne n’est dupe, ces 22 milliards à confisquer entraineront une baisse du pouvoir d’achat bien réelle et une majoration des coûts de revient des biens et services produits tout aussi réelle. Manuel Valls et Hervé Novelli ne sont pas nés avec le dernier impôt et en sont tout à fait conscients.
C’est là que la botte secrète pour accompagner ce retour en arrière est difficile à exprimer et fait polémique. En creux, d’un côté de l’échiquier politique comme de l’autre, chacun pense que pour compenser le coût supplémentaire pour l’entreprise et la perte de pouvoir d’achat pour les salariés concernés, il faut répartir l’effort entre les salariés et l’entreprise. Un peu de travail en plus pour le salarié qui ne sera pas vraiment compensé par du salaire et une augmentation de coût pour l’entreprise qui ne sera pas complètement compensée par du travail en plus pas vraiment rémunéré. Il me semble que du côté des salariés comme du côté des employeurs personne n’est dupe. Ce qui explique qu’il y ait bien peu d’empressement à demander la modification des règles du jeu de l’usine à gaz actuelle par les patrons et les salariés. Mais comme les comptes publics ne vont pas se redresser comme par miracle par un retour rapide de la croissance, que d’autres réductions des dépenses de l’Etat peuvent être encore plus difficiles à obtenir, puisqu’elles nécessitent une remise en cause de l’organisation publique dont font aussi partie les politiques et leurs équipes, que la suppression des niches fiscales et les hausses d’impôts peuvent aussi faire tousser très fort et être encore plus difficiles à vendre, on peut craindre que les variables d’ajustement seront du côté des plus corvéables, les salariés du privé et les entreprises.
C’est une évidence qu’une remise à plat de cet enchevêtrement dans les entreprises de situations organisationnelles issues de la modification continuelle des règles du jeu est une nécessité et serait salutaire. Ce qui parait assez insupportable c’est de devoir le faire une nouvelle fois en retirant l’échelle et en prenant le contrepied des promesses précédentes.
En un mot comme en cent, la simplification et la libération de l’organisation du temps de travail, très utiles pour l’économie du pays, risque fort de coûter 22 milliards aux entreprises et aux salariés. Soyons réalistes il va en falloir bien plus pour rééquilibrer les comptes. Pour tenter de compenser, il va nous falloir travailler plus. Autant dire que si elle veut gagner plus, la France va devoir travailler bien plus encore. Mais face à ces efforts qui se profilent, comme aurait dit Coluche, nous sommes sans doute tous égaux, mais certains le seront plus que d’autres, vous vous en doutiez.
On se prend quand même à rêver de ce que pourrait être notre situation aujourd’hui si Martine Aubry n’avait pas cherché à démontrer à n'importe quel prix que l’on pouvait s’élever dans les airs en se tirant par les cheveux.
Je vous souhaite une très bonne nuit.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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