5 Mai 2008
Comme souvent le dimanche j’ai regardé successivement Ripostes sur la Cinq et le Grand Jury sur LCI. Christine Lagarde, ministre de l’économie était l’invitée de Serge Moati et Nathalie Koscuisko Morissey, secrétaire d’Etat à l’écologie, celle du remplaçant de Jean Michel Apathie.
Je les ai trouvées vives, précises, claires et persuasives pour expliquer les réformes dont elles ont la charge. Pourtant ce n’est pas demain la veille qu’il sera possible d’inverser le regard des commentateurs et du grand public sur les décisions prises et les réformes en cours. Je fais partie de ceux qui considèrent qu’il faut user de beaucoup plus de pédagogie que ce qui a été déployé à ce jour pour expliquer comment les réformes engagées permettront d’obtenir les résultats escomptés. En revanche certains symptômes me font aussi penser que c’est peine perdue et que ce n’est qu’à l’heure des résultats, ou de l’appropriation en cas d’alternance par ceux qui condamnent aujourd’hui, que la justification sera manifeste.
Les commentaires qui ont accompagné la décision de plafonner dans notre pays l’impôt à 50 % du revenu d’un contribuable sont à ce titre très édifiants. En adoptant ce plafonnement la France se mettait pourtant au diapason d’autres pays d’Europe, dont l’Allemagne, qui ont déjà fait ce choix. Mais voilà, dans notre pays annoncer aux contribuables qu’on ne leur prendra pas plus de 50 % de leur revenu (à l’exception d’impôts fonciers concernant d’autres biens que l’habitation principale), mais la moitié quand même de tout ce qu’ils gagnent, c’est un cadeau fait aux riches. Parce qu’il se trouve que notre fiscalité permettait à ce jour de prélever plus. Peu importe que le système précédent conduise une partie des contribuables concernés à s’exiler fiscalement et à ne plus donner grand-chose pour le budget du pays, la perception immédiate du cadeau au riche disqualifie la mesure et apporte la preuve de la collusion du pouvoir avec l’argent roi. Impossible d’imaginer qu’il soit possible d’expliquer en France que se limiter à ne prendre que la moitié du revenu d’une personne peut être stratégiquement efficace pour la dynamique économique et permettre finalement un meilleur rendement des prélèvements globaux. Et puis il faut aussi rappeler que parmi les contribuables qui ont adressé une demande de plafonnement on trouve des bénéficiaires de petits revenus qui par l’effet de la valeur de leur résidence principale étaient redevables de bien plus de la moitié de leur revenu en impôt. Si Serge Moati peut assez facilement montrer beaucoup de tendresse pour François Mitterrand à Vichy, on peut difficilement envisager en revanche qu’il fasse le dixième de l’effort nécessaire pour comprendre ce type d’interaction.
Mais le plus édifiant quand même c’est le vocabulaire que l’on emploie pour en parler. Quand l’Etat limite un prélèvement on dit que ça lui « coûte ». Il ne vient à l’idée de personne semble t-il qu’une fois que la règle des prélèvements a été fixée, l’Etat doit se limiter à dépenser le budget qui en découle. Si le produit est insuffisant pour financer ce que les citoyens demandent à l’Etat il y a lieu alors de relever les prélèvements et il en coûtera alors plus cher aux contribuables. L’inversion des rôles avec l’utilisation de ce mot est manifeste et inquiétante. Avec cette façon de parler on est plus proche de l’ancien régime avec ses serfs et ses vassaux que d’une démocratie moderne avec des contributeurs libres. J’ai déjà ressenti la même chose lorsque le gouvernement de Dominique de Villepin a plafonné la taxe professionnelle des entreprises à 3,5% de la valeur ajoutée. Les élus locaux presque unanimes ont crié au scandale, au cadeau fait aux entreprises contre la nécessité de bien gérer les deniers publics et donc de pouvoir augmenter librement les prélèvements si nécessaire. Il ne venait à l’idée de personne qu’il puisse être cohérent de fixer une règle pour les entreprises qui stipule que le niveau de prélèvement de la TP ne dépassera pas ce pourcentage de la valeur ajoutée. Et que le gestionnaire public ait à adapter ses dépenses sur la capacité contributive de ses ressortissants.
L’autre paradoxe c’est qu’il n’apparaît pas beaucoup de mobilisation pour s’assurer que les règles qui ont permis les gains des contribuables les plus aisés et dont l'impôt est maintenant plafonné sont équitables. En clair qu’ils ne bénéficient pas pour leurs revenus d’un privilège de position dominante sur le marché qui leur serait peut-être même consenti par l’Etat. Je pense à la grande distribution qui a généré de très belles fortunes grâce à une protection contre la concurrence de trop d’opérateurs bien difficile à justifier. Les lois en vigueur motivées par le soutien au petit commerce se sont, toutes les études le disent, soldées par le résultat exactement inverse. Nous avons la concentration de la distribution la plus importante d’Europe et les lois ont plutôt contribué à transformer les grandes surfaces en pharmacie avec un numérus clausus, enrichissant plus que de raison les heureux patrons de magasin. Le petit commerce de centre ville dans le même temps n’a bien entendu pas été plus protégé. Au moment où la ministre pousse une loi qui permettra peut-être plus de vraie concurrence et l’apparition de nouveaux acteurs sur le marché, on pouvait s’attendre à plus d’enthousiasme. Et bien non. Paradoxalement des voix s’élèvent là aussi pour sauvegarder le système actuel et de fait, continuer l’enrichissement des heureux commerçants protégés aujourd’hui plus qu’il n’y paraît de la concurrence. Sans aller très loin imaginons qu’à Barbezieux comme ailleurs le document d’urbanisme ait permis de se prononcer sur la surface maximum d’un magasin et les conditions de son intégration dans le paysage tout en permettant à bien plus d’acteurs de s’installer. L’harmonie pourrait être bien différente et la concurrence plus vive. La fameuse commission d’équipement commercial a bien au contraire permis la forte concentration de la distribution et la municipalité s’est mise en quatre pour déplafonner les contraintes urbanistiques pour accompagner la domination, dans tous les sens, d’une enseigne. L’entrepreneur est parfaitement dans son rôle, en revanche je suis moins sûr que la collectivité soit dans le sien.
Les commentateurs ont le nez collé sur ce qui leur paraît spontanément évident et facile à vendre à l’opinion publique. Il faut beaucoup de courage à ces deux femmes politiques pour contribuer à modifier en profondeur les règles du jeu dans le sens de l’intérêt général en acceptant de se prendre en pleine tête la couardise intellectuelle des uns et des autres dont il y aurait lieu de disséquer le profit personnel qu’ils y trouvent. Le désintéressement n’est lui aussi pas toujours là où on pense. Mais c’est sans doute inconscient.
J’ai apprécié que ces deux très belles personnalités politiques contribuent ce soir à déconstruire les idées reçues, bien à contresens des réalités de l’économie, et à promouvoir des modifications en profondeur de notre société pour plus d’efficacité et de justice.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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