27 Décembre 2014
C’est un beau cadeau de Noël qui a été mis sous le sapin du maire d’Angoulême et de son conseil municipal. Et bien emballé dans un joli papier journal tout frais sorti des presses de Charente Libre ce 25 décembre. Un terrifiant « SOS détresse amitié » à la une du quotidien qui, lancé à la cantonade, a eu encore bien plus de succès qu'avec cet autre scénario d’anthologie du si bien nommé, « le père Noël est une ordure ». Le ban et l’arrière-ban de la sphère médiatique ne s’y sont pas trompés. Ils ont vu l’éclair aux chocolats électriser la toile endormie. Et ils se sont empressés de relayer tous azimuts la très mauvaise nouvelle. Angoulême, la vile qui sévit en ses images, clôture ses bancs pour interdire le siège des SDF. Pas de trêve de Noël dans la cité des Valois pour les « salauds de pauvres ». Après les « sans dents » du Président PS, voilà les « sans bancs » du maire UMP. François d’Assise reviens, ils sont devenus fous. Enguirlande moi ces sans cœur de droite au petit pied levé. Les culs terreux doivent aussi pouvoir se poser et se reposer sur l’esplanade du champ de Mars. Non mais.
Même Jack Lang depuis son modeste petit 400 mètres carrés parisien de la place des Vosges s’est ému et fendu d’un twitt dépité et solidaire. Tout comme du fond des Landes le sourcilleux Henri Emmanuelli ou l’un temps inutile mais mignon secrétaire d’Etat à l’agroalimentaire Guillaume Garot. Que de belles âmes pour s’indigner en moins de 144 petits caractères de la supposée ignominie de l’édile anti dealers et avouer leurs illusions perdues. Un chant de Mars et ça repart de poubelle dans la galaxie mondaine des astres effervescents.
Je me demande où je vais chercher tout ça mais qu’importe, je poursuis. La municipalité d’Angoulême est confrontée à une difficulté sur le Champ de Mars. Quelques marginaux endurcis y ont élu domicile fixe et squattent à longueur de journée sur les bancs qui bordent la galerie vitrée. Selon de nombreux témoins oculaires d’avant la vidéo surveillance à venir, ils boivent de l’alcool, se cament plus ou moins dans le calme, pissent dru certains jours, chient certains autres, éructent et apostrophent plus ou moins délicatement le bourgeois. Leurs chiens aboient et la caravane des piétons dépités et apeurés passe son chemin.
Ce qu’un aménagement urbain avec son mobilier a permis un autre peut-il le décourager ? That is the question centrale du centre ville. La municipalité sollicitée abondamment par la très large majorité de la population a donc cherché des solutions. Parmi celles-ci, a été retenue la transformation des neuf bancs en petits murets de gabions enserrés dans du grillage. La protection des vitres de la galerie nécessitait le maintien des socles en ciment des bancs. Du métal et de la pierre pour les habiller et coller à l’esthétique de la place sont-ils la meilleure requalification possible? C’est un peu comme la pyramide dans la cour du Louvre, ça se discute. Mais la dite place qui aligne 30 bancs à ce jour en comptera toujours 21 à d’autres emplacements. S’assoir reste donc facile et gratuit pour tous, même sur la Champ de Mars à Angoulême.
Alexandre Chemetoff est l’auteur de l’aménagement de la place du Champ de Mars. Interviewé hier dans Libé pour savoir ce qu’il pense du projet du maire d’Angoulême, il répond : « J’ai la même réaction que tout le monde qui consiste à penser que c’est scandaleux et inapproprié. Mais quand on est dans la position qui est la mienne, d’avoir conçu un espace public partagé, on est doublement choqué car si l’on place des bancs, c’est pour qu’ils soient utilisés et que l’espace gagne ainsi son qualificatif de public. »
Il dit aussi un peu plus loin tout ceci que je vous recopie in extenso : « On accuse toujours les architectes des dysfonctionnements. C’est parfois vrai mais c’est surtout une manière pour les élus de se défausser car la réponse est profondément politique. Si on est maire, c’est pour administrer la cité, pour le bien de ceux qui y vivent comme de ceux qui y passent. Quand on a conçu un lieu comme celui-là, il est difficile d’imaginer que l’aménagement est responsable des dysfonctionnements de la société. La contre-utilisation de l’espace est une question pour le politique. Pour ma part, je fais en sorte que les bancs soient confortables et solides. Il est terrible qu’avec ses cages et ses galets, le maire fasse une réponse de mauvais architecte. Il me met sur la sellette en laissant penser que c’est le banc qui est à l’origine du problème mais les sans domicile fixe se mettent près des centres commerciaux parce que c’est là qu’il y a du passage et des gens. Cette histoire est vraiment une faillite politique. Quand nous avons gagné ce concours, la discussion portait sur la question de savoir si le lieu le plus sûr était l’espace privé de la galerie commerciale, surveillé par des vigiles, ou l’espace public de la place. Le fait que ce dernier ait été attaqué de cette façon par les autorités municipales dit en creux que le seul espace sûr serait l’espace privé. Et cela, c’est là un véritable aveu d’échec politique ».
L’interview est à lire en entier évidemment. Au travers du renvoi de la responsabilité de « la contre utilisation de l’espace » sur le politique, pour mieux jouir du concours qu’il a gagné en 2003 et préserver son aura d’architecte urbaniste éclairé promoteur du lien social, Chemetoff à mon sens se prend complètement les pieds dans le décor. L’interaction entre urbanisme et société est permanente. Les deux s’imbriquent et se répondent. Il est surprenant de lire que c’est au politique d’adapter la société à l’urbanisme génial pensé par son auteur. Les marginaux sont le problème du politique nous dit-il. S’ils posent problème sur sa belle place conviviale de lui l’architecte, eh bien c’est au politique de s’assurer que la société n’engendre pas de comportement de ce type ou bien d’en éloigner les auteurs par d’autres moyens.
Eh oui mes chers lecteurs ce type est un dangereux imbécile. Et plus d’un angoumoisin est convaincu que les emmerdements d’aujourd’hui avec l’aménagement de cette place lui incombent grandement. C’est justement parce qu’il y a une impulsion des aménagements urbains sur les comportements des citoyens qu’il y a nécessité de réparer ce qui peut l’être quand on s’est fait planter par un orgueilleux sans grand talent comme lui qui n’a pas bien compris la responsabilité qui lui incombe.
Le maire et ses conseillers sont depuis trois jours dans la seringue médiatique. Et l’enfer dans lequel ils ont été jetés est bien artificiel. Evidemment, la maladresse coupable qui a conduit à cette image de bancs enfermés dans des cages d’acier ne pouvait pas ne pas être exploitée médiatiquement. Le symbole était trop fort à la veille de Noël. En revanche la presse et nombre de médias ont une nouvelle fois montré leurs limites pour informer honnêtement le public. C’est une vaccination de plus pour les citoyens, d’Angoulême et de Charente cette fois-ci, contre les informations et les images chocs qui mentent trop facilement, à des fins mercantiles dans le meilleur des cas, ou bien moins avouables le plus souvent. On s’assoit sur la déontologie journalistique encore bien plus facilement que sur les bancs d’Angoulême ces temps-ci.
Xavier Bonnefont, le maire d’Angoulême, ses adjoints comme tout le conseil municipal ont bien tenu le choc médiatique et n’ont pas baissé les bras. Je sais la qualité de leur engagement social, autrement plus crédible que celui de tous ceux qui les ont inondés gratuitement d’injures et de sarcasmes. Cette épreuve renforcera j’en suis convaincu leur volonté de servir avec un bel humanisme la ville et tous ses habitants. Peut-être seront-ils un peu plus sur leur garde la prochaine fois qu’ils verront se profiler des images symboles. Mais comme ils vont continuer d’agir, cela se reproduira forcément. Que cela ne les décourage surtout pas. Même les marginaux et les SDF leur en seront reconnaissants. Parce que ces derniers n’ont vraiment rien à attendre des indignés bien au chaud et de tous ceux qui ne sont que dans le commentaire fielleux et dégouté.
Joyeux Noël à tous mes très chers lecteurs et vivement que les bancs publics redeviennent ce qu'ils étaient.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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