4 Mai 2014
Au risque d’avoir les doigts plein de cette encre d’imprimerie dont on dit pourtant de source internet sûre qu’elle est toxique et fortement cancérigène, que d’ailleurs c’est peut-être par addiction à la presse écrite depuis tout petit que moi-même…, j’ai donc feuilleté vingt fois les pages de CL mercredi, scruté chaque ligne de l’article signé IK qui informe les malheureux charentais que leur fleuve est le plus pollué de France par les pesticides.
Eh bien vous me croirez ou pas mes chers et fidèles lecteurs, mais je n’ai pas trouvé la moindre trace de la référence précise de l’étude d’où serait issue la carte qui justifie le gros titre et la pleine page de Charente Libre. Le site de CL est tout aussi muet sur la question. C’est pourtant simple de mettre un lien vers le site du ministère de l’écologie, du Bassin Adour Garonne (voir l'étude Charente bien plus nuancée), du BRGM ou de tout autre site officiel de référence où l’étude serait consultable. Rien de tout ça. Il faut se contenter d’une carte à la définition douteuse reproduite semble t-il à partir de cet autre quotidien, pas forcément réputé pour la qualité scientifique de ses informations, qu’est Le Parisien. La légende assez difficile à déchiffrer au bas des cartes ne m’a pas permis de retrouver l’étude dont elle sont issues. Pas bien transparent tout ça. La qualité des sources, ça vaut pour l’eau. Ça devrait valoir aussi pour l’information.
Faire du Charente bashing à partir d’une info non vérifiée publiée dans un autre canard, qui sera à son tour reprise ici où là et répétée à tort et à travers, n’est pas une pratique journalistique franchement rassurante.
Et puis je ne vous parle même pas du reste de l’article. Le parfait amalgame des rumeurs et des approximations en tout genre. Des traces de pesticides dans la Charente entre Angoulême et Saintes. Donc c’est du côté des vignes qu’il faut chercher. Tout montre d’ailleurs que l’on y meurt plus qu’ailleurs dans les vignes. Enfin c’est ce qui se dit ici ou là par les uns et par les autres. Et comme il n’y a pas de fumée sans feu...
Je sais que le sujet est complexe, mais quand même. Peut-on être aussi allègrement réducteur sur des sujets aussi sensibles pour attirer l’attention du chaland et lui vendre du papier ?
L’atrazine est interdite d'utilisation depuis plus de 12 ans et les vignes n’ont jamais trop vu la couleur de ce désherbant à maïs. La proportion de vignes dans les bassins versants de la Charente et de ses affluents depuis sa source est faible. Et la fameuse étude du CHU de Poitiers de 2011 conclut en effet à 29 % de maladie de Parkinson en plus dans le vignoble charentais comparativement à la population hors vignoble et à 19% en plus de cancers du sang de type lymphomes. Mais de là à dire comme dans l’article qu’il y a une "surmortalité dans le vignoble charentais", il y a de la marge. L’étude AGRICAN (Agriculture et cancer) démontre même exactement le contraire. Et cela, malgré la surreprésentation de Parkinson et autres lymphomes chez les agriculteurs Tout simplement parce que ce ne sont qu'une infime partie des causes de mortalité ici comme ailleurs.
La surconsommation de médicaments est une des premières causes de mortalité en France chez les personnes âgée. Ce sont pourtant les médecins eux-mêmes qui nous prescrivent l’ingestion de produits chimiques pour nous soigner. La production agricole, y compris biologique (voir la liste), utilise des produits phytopharmaceutiques pour la protection des plantes. Toutes les productions industrielles utilisent des produits chimiques. Chacun de nous est au contact permanent de produits chimiques dans sa maison, sa voiture, au bureau ou dans son jardin. Au fur et à mesure de l’évolution des connaissances nous arbitrons sans cesse entre les risques encourus et les bénéfices attendus. Les deux sont bien évidemment parfaitement indissociables. Et les progrès à accomplir sont encore et toujours sans limites. Alors dans ce contexte, décerveler les français à coup d’annonces catastrophistes mal fondées n’est pas la meilleure façon de progresser et d'affronter l'avenir. Malheureusement, la surenchère a semble t-il encore de beaux jours devant elle compte tenu des difficultés que traverse la presse écrite. La recette du redressement des ventes est invariable. J’ai revu hier soir avec intérêt le très beau film Citizen Kane d’Orson Welles qui décrit cela très bien.
Une éminente spécialiste des gestions de crises médiatiques d’un grand groupe concluait il y a peu son exposé très pertient en conseillant de toujours rester zen. L’information la plus alarmante, quand elle grossit trop fort le trait, est très vite gommée et remplacée par une autre. Réagir n’est pas forcément nécessaire. Mais je pense qu'un peu d’antidote à ce type d'empoisonnement peut être utile non ?
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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