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Ma pomme à l’heure allemande.

L’organisateur de mon déplacement à Berlin a eu le nez creux. Il m’a pris un vol sur la Lufthansa et je suis arrivé quasiment « on time » en début d’après midi mardi dernier sur le tarmac de Tegel Airport. Ceux de mes collègues qui comptaient sur Air France n’ont pas tous eu la même chance. Ils ont d’abord du servir de  chair à revendication pour les grévistes de la 2ème compagnie avant d’avoir la fierté de voler français et d’arriver en retard. Il faut reconnaître aussi que le froid glacial qui sévit sur l’Europe n’est pas mal non plus pour désorganiser le transport aérien et remettre opportunément un peu d’équité aléatoire entre les voyageurs. 

Mais le froid rebat surtout les cartes en ce moment pour la production et le commerce des fruits et légumes en Europe du sud et, semble t-il, même en Afrique du nord. Dans les allées du salon Fruitlogistica, les discussions bruissaient d’informations plus ou moins alarmistes sur l’incidence des très basses températures sur les cultures de telle ou telle espèce dans diverses régions du pourtour de la méditerranée. Il est encore trop tôt pour évaluer précisément les dégâts et anticiper les effets sur le marché, mais il semble qu’ils seront sensibles. Bernard, un ami producteur de mâche de la région nantaise faisait ainsi remarquer avec humour à un de ses acheteurs qu’après avoir jeté depuis plusieurs semaines une part conséquente de sa production journalière, il livrerait dorénavant des quantités très réduites et qu’il utiliserait les services de la « Brink’s » pour les livraisons, compte tenu de la flambée des cours.

La planète nous rappelle ainsi une nouvelle fois qu’il est impossible de réguler parfaitement les productions agricoles, malgré les moyens techniques mis en œuvre. Les mouvements erratiques des cours sont alors le corolaire nécessaire des conditions climatiques pour traduire l’incidence économique de la rareté ou de l’abondance.

Pour la pomme et la poire, le salon Fruitlogistica de Berlin est l’occasion pour WAPA (World Apple and Pear Association) de réunir la plupart des pays producteurs du monde pour faire le point sur le déroulement de la commercialisation de la récolte précédente de l’hémisphère nord et de découvrir les prévisions de la récolte qui commence dans l’hémisphère sud. Ce partage d’une information de qualité a des vertus de régulation en soi pour les échanges commerciaux. Chacun a intérêt à ce qu’un bon équilibre entre l’offre et la demande évite de trop fortes chutes des cours. La "main invisible du marché" a bien sûr le dernier mot, parce qu’elle intègre la multitude de paramètres que seule la confrontation de l’offre et la demande permet de réussir.

Une fois de plus le marché européen subit une baisse sensible de la consommation et les cours à la production sont assez faibles cette campagne. Dans ce contexte, la forte récolte de pommes de la Pologne, logée de plus en plus dans des chambres froides de qualité, grassement subventionnées par l’Europe, menace encore, en raison de stocks exceptionnellement importants, de tirer les cours vers le bas jusqu’à l’été. Nos collègues de l’hémisphère sud en sont conscients. Ils seront donc prudents dans l’envoi de leurs fruits sur notre continent et privilégieront plutôt l’Asie et le Moyen Orient. Cette illustration est évidemment un raccourci un peu simple pour vous donner une idée de nos échanges et des interactions complexes qui déterminent le marché.

Ce salon est aussi un des lieux privilégiés pour appréhender l’évolution des stratégies des pays, des producteurs et des entreprises du monde entier  pour ce fruit mondialisé qu’est la pomme. L’occasion de ressentir là où se trouve le dynamisme et d’essayer de comprendre ce qui explique la fameuse compétitivité des uns et des autres. Là encore, les paramètres sont multiples. Tout s’articule quand même autour de dynamiques régionales ou nationales qui combinent avec des entrepreneurs, des commerçants, des consommateurs et de plus ou moins bonnes conditions pédoclimatiques, la recherche, la formation, les infrastructures logistiques, les ressources financières, la main d’œuvre, la coopération, le soutien de l’administration et des Etats, une différentiation, une marque, de bonnes intuitions et beaucoup d’autres choses encore. Chaque cas est particulier et difficilement transposable ailleurs à l’identique. Et pourtant les clés de la réussite sont souvent à peu près toujours les mêmes d’un bout à l’autre de la planète.

C’est à mon sens ce qu’a voulu dire aussi sur le plan de la politique nationale le chef de l’Etat à la télévision, il y a quinze jours, lorsqu’il a fait référence à l’Allemagne pour expliquer les réformes qu’il continue de proposer pour que la France améliore ses performances.

Tout en échangeant intensément depuis mardi avec une multitude d’acteurs divers de la filière des fruits et légumes en France et dans le monde, j’ai, vous vous en doutiez, évidemment pris le temps de lire la presse charentaise et nationale sur internet pour suivre l’actualité locale et nos débats politiques de campagne. Il m’est apparu qu’au-delà des vives polémiques sur tel ou tel aspect des propositions des uns ou des autres, l’essentiel est en train d’émerger et devient perceptible à tout un chacun. A mon sens, le président ne force pas le trait inutilement, loin s’en faut.

Reprenons les éléments du problème en le simplifiant comme saurait sans doute le faire un enfant de cinq ans. La France a un Produit National Brut qui atteint presque les 2000 milliards en 2011. Sa dette s’élève à 1700 milliards. La dépense publique dépasse les 1100 milliards alors que les recettes publiques prélevées sur le PNB ne sont que de 970 milliards. Il manque donc 130 milliards qu’il faut emprunter et qui viennent s’ajouter à la dette. Pour seulement stabiliser la dette en pourcentage du PNB, il faut que le déficit entre les dépenses et les recettes soit en pourcentage un peu moins élevé que le pourcentage de croissance du PNB. C'est-à-dire que lorsque la croissance est de 1.7%, comme en 2011, il faut que le déficit se limite à 1.5%. Nous en sommes encore loin. Les perspectives pour 2012 dessinent toujours une croissance très faible et un déficit encore élevé. Le déséquilibre de notre commerce extérieur a été record en 2011 à 70 milliards et le chômage approche maintenant les 10%.

Compte tenu de la perte de compétitivité dont témoigne le déficit de nos échanges, il est peu probable que la situation s’améliore d’elle-même grâce à une conjoncture mondiale qui nous redonnerait enfin suffisamment de croissance pour qu’avec un peu plus de maîtrise de la dépense publique, le déficit se réduise suffisamment pour que la dette se stabilise durablement.

Le pire n’est jamais sûr évidemment, mais il serait criminel de ne pas réagir et de se retrouver un jour prochain dans une situation voisine de celle de la Grèce. C’est à l’aune de cette perspective qu’il faut évaluer les propositions du chef de l’Etat et des candidats au poste.

Gratter quelques recettes supplémentaires sans réformes structurelles fortes et sans baisse significative des dépenses ne permettra malheureusement pas d’enrayer le processus. Dans ce cadre, les changements qui paraissent inacceptables aujourd’hui paraitront rétrospectivement bien doux au regard de ce qu’il faudra endurer si la situation devenait proche de celle de la Grèce. Le peuple est le responsable en dernier ressort des choix qu’il fait bien sûr, puisque nous sommes comme en Grèce en démocratie, mais il me serait insupportable d’avoir été de ceux qui en conscience ne proposent aucune solution à la hauteur des efforts à accomplir. Pas question de laisser faire sans rien dire alors qu’il est impossible d’ignorer ce qui va se passer et qu’il faut agir fermement pour l'éviter. D’autant plus que les 65 millions de français sont parfaitement capables de relever le défi.

C’est pour cela qu’il a été nécessaire en 2007 de stimuler la production en motivant les 9 millions de salariés qui ont accepté de faire des heures supplémentaires. Parce que je le rappelle encore à tous ceux qui n’ont jamais regardé une feuille de paie, l’absence de retenues de charges sociales sur ces heures et leur non prise en compte dans l’assiette imposable bénéficie au seul salarié, pas au patron. La réforme des régimes spéciaux de retraite, la réforme des retraites, le crédit impôt recherche, le non remplacement bien douloureux d’un départ à la retraite sur deux dans la fonction publique d’Etat, l’autonomie des universités, la révision générale des politiques publiques, la réforme de la taxe professionnelle, la fusion entre l'ANPE et les Assedic, font partie de ces réformes de fond qui ont pour objectif de rendre possible la croissance pour améliorer les recettes et mieux financer une organisation publique plus efficace.

A part qu’ils souhaitent vivement un arrêt des réformes, je n’ai pas perçu d’ailleurs que les candidats aient l’intention de revenir à la situation d’avant 2007 en annulant ces réformes. Sauf en ce qui concerne les heures supplémentaires où au centre comme à gauche, on semble pressé de faire les poches des salariés modestes qui bénéficient de l’effet de levier pour leur rémunération.

Pour que le choix soit bien tranché, je trouve finalement assez pertinent de continuer d’initier des réformes que les français pourront valider ou interrompre en connaissance de cause. Parce qu’enfin, dès lors que le différentiel reconnu sur le coût du travail dans l’industrie entre la France et l’Allemagne atteint 10 %, réduire cet écart d’un tiers en transférant le coût de la politique familiale sur la TVA est un effort qu’il est cohérent de faire. Ce transfert met un frein aux importations et améliore un peu notre compétitivité à l’export. Même si c’est insuffisant, c’est une manière claire d’indiquer la voie exigeante que l’on veut suivre. Et puis créer un impôt de bourse, comme celui des anglais, pour attendre une taxe plus universelle sur les fameuses transactions financières, convainc plus qu’une promesse.

Après la résistance incroyable des élus locaux et nationaux à la pourtant bien modeste réforme des collectivités locales, la proposition aujourd’hui d’un pacte de stabilité de la dépense des collectivités territoriales permettra, là encore, aux électeurs de faire leur choix. Tout comme semble t’il la volonté du chef de l’Etat d’engager plus largement une formation professionnelle qualifiante des personnes privées d’emploi pour les secteurs d’activité qui peuvent être demandeurs de main d’œuvre. Parce que l’emploi, c’est autant l’offre que la demande, contrairement à la vision passive du monde qui domine ici ou là. C'est un point de vue politiquement correct, mais une conception de la vie totalement déprimante et fausse.

Je partage avec le chef de l’Etat cette conviction que l’enjeu essentiel du moment doit être bien identifiable par les électeurs et qu’il faut pour cela forcer un peu le trait. La situation du pays l’exige. La poursuite ou l’interruption du travail de réforme engagé courageusement depuis 2007 doit être la ligne de partage sur laquelle se prononceront les électeurs. Mais pour tout cela nous devons être excessivement vigilants à ne jamais stigmatiser des individus et nous concentrer exclusivement sur l’amélioration des règles pour tous. Pour ceux qui perdent pied sur ce chemin des crêtes, notre solidarité doit s’exercer sans faille. Ce n’est pas contradictoire avec la proposition de s’inscrire dans un parcours plus difficile, bien au contraire.

Je vous mets un lien ou des téléchargements vers des articles qui m’ont semblés bien poser les problèmes cette semaine.

L’interview de Nicolas Sarkozy dans le Figaro Magazine de ce jour.

Un article de Daniel Vernet sur Slate.fr ou les réformes du socialiste Gerhard Schroeder au début des années 2000 en Allemagne sont détaillées sans fard. Accrochez vous bien, âmes sensibles s’abstenir.

Un article sur la TVA Sociale paru aussi sur Salte.fr

Un article du Monde sur la comparaison des obligations des chômeurs dans différents pays d’Europe.

Un article d’Alain Madelin intitulé « Le problème c’est le chômage, pas les chômeurs ». Je ne peux que partager son analyse et j’espère que c’est aussi celle du président. La différence c’est que l’un est en responsabilité du pays, l’autre non.

L’éditorial d’Yvan Drapeau dans la Charente libre au sujet du rapport de la Cour des Comptes sur les déficits de la France.

Demain matin tôt, avant de rentrer en Charente, je vais visiter le Bundestag, le parlement allemand, comme ça par curiosité, pour poursuivre les comparaisons…. A bientôt pour les photos.

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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V
<br /> Pour le bonheur des français, on ne va pas accepter de laisser sarkozy se faire réélire !!!<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Dans des temps fort lointains, lorsqu'un cataclysme survenait, les prêtres  de la religion de l'époque profitaient de cette aubaine pour raffermir leur pouvoir sur les populations en les<br /> culpabilisant de n'avoir pas été assez soumis à leur divinité.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Aujourd'hui la droite sarkozyste (oui le nain n'est pas seul à gérer) pour tenter de conserver sa place au sommet du pouvoir et continuer d'asseoir sa domination financière, a décidé de reprendre<br /> ces vieilles méthodes où l'obscurantisme est le nerf et le moteur et ainsi rendre les pauvres et les chômeurs coupables de part leur manque d'enthousiasme actuel, de la merde où ces incapables<br /> les ont mis…<br />
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L
<br /> Daniel, je te cite et te<br /> recite :<br /> <br /> <br /> Sur la<br /> TVA sociale, article du 3 01 2012<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> « La mesure peut donc<br /> s’avérer<br /> inflationniste, tout au<br /> moins dans un premier temps. Et puis la part de charges sociale liée à la politique familiale visée, semble t-il, par le transfert est relativement peu importante dans le coût de revient de la plupart des produits finis<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Le travail de fond que nous devons effectuer en<br /> France est à mon sens toujours le même. Il s'agit d'améliorer notre organisation collective pour la rendre plus efficace avec moins de prélèvements obligatoires pour stimuler l’innovation et la<br /> création de biens et de services. C'est la seule voie possible pour gagner vraiment en<br /> compétitivité. Cela doit se faire sans passer par des réglages de<br /> tuyauterie fiscale et sociale à somme nulle qui ajouteront à la confusion ambiante. »<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Sur la<br /> TVA sociale article du 11 02 2012<br /> <br /> <br /> « Parce qu’enfin, dès lors que le<br /> différentiel reconnu sur le coût du travail dans l’industrie entre la France et l’Allemagne atteint 10 %, réduire cet écart d’un tiers en transférant le coût de la politique familiale sur la TVA est un effort qu’il est cohérent de faire. Ce<br /> transfert met un frein aux importations et améliore un peu notre<br /> compétitivité à<br /> l’export ».<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> La danse des contradictions vient de commencer<br /> pour le bal des élections. Les premiers temps de la valse sont un peu  cafouilleux. Un coup à l’envers, un coup à l’endroit. Peu importe, la cavalière<br /> va suivre, la tête va lui tourner… Le principal c’est que l’on puisse danser sur toutes les musiques…..<br />
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