16 Janvier 2012
Dimanche dernier, j’ai délicatement dénoncé la vaine spéculation intellectuelle (pour ne plus dire autre chose) qui vise à modéliser le "bien-être" en Poitou-Charentes et le traduire mathématiquement en indice. Un curieux syllogisme m’a été adressé en retour. Il peut s’exprimer ainsi : l’indice se préoccupe du "bien-être", donc être contre l’indice, c’est forcément être contre le "bien-être".
Mes très chers lecteurs il se trouve que je pense comme Camus que « mal nommer les choses, c’est ajouter aux malheurs du monde ». C’est pourquoi je ressens la nécessité de vous préciser ce soir ma pensée.
Ma première référence publique à Amartya Sen remonte à janvier 2007. Alors président de la communauté de communes des 3B, j’étais intervenu à l’assemblée générale de l’association Cinémania, qui se tenait à Saint Hilaire de Barbezieux, pour évoquer le projet de rénovation du cinéma Le Club. J’avais d’abord cité Jean Luc Godard pour qui la différence principale entre la télévision et le cinéma était qu’au cinéma « on lève les yeux ». Et puis pour imager ce qui avait été ma motivation pour que ce projet se réalise, j’avais indiqué que, sans cinéma, l’Indice de Développement Humain ne serait pas tout à fait celui que je souhaitais pour le territoire des 3B. C’est cette même préoccupation qui a sous-tendu mon action en faveur de la création des services à la petite enfance, d’une maison de l’emploi, d’une voie verte, d’une Opération d’Amélioration de l’Habitat, d’une animation culturelle et bien d’autres équipements et services. Tout cela en parallèle d’une politique active de développement économique.
Autant dire que je ressens depuis bien longtemps que l’harmonie et le bien-être sur notre territoire reposent sur une multitude de facteurs et ne se réduisent évidemment pas à un Produit Local Brut mesuré en euros. Plus qu’un indice chiffré, l’IDH est devenu pour moi le symbole de cette richesse d’évaluation et je l’ai adopté dans mon langage courant.
Ce qui ne m’empêche pas de considérer dans le même temps qu’aucun modèle ou indice ne permettent de saisir l’infinie complexité des conditions de l’harmonie et du bien être. C’est la noblesse du politique que d’assumer cette synthèse impossible, de prendre parti et de s’engager.
Il suffit pour s’en convaincre de voir ce qui se passe dans un domaine réputé pour être à priori bien plus simple à quantifier. Une étude comparative sur le temps de travail dans les différents pays d’Europe a été publiée cette semaine par Rexecode. Selon ces travaux, un salarié français à temps plein travaille 229 heures de moins par an qu’un allemand. C’est aussi en France, selon cette même source, que le pourcentage de baisse du temps de travail a été le plus élevé en Europe depuis 2000. On pourrait penser que c’est le type de mesure objective qui convient cette fois ci parfaitement à un indice incontestable. Si l’on en croit les commentaires qui ont suivi cette annonce, c’est pourtant assez loin d’être le cas. Institut proche du patronat ont dit les uns, segmentation contestable ont fait remarquer les autres et certains chiffres erronés selon l’Insee.
Imaginez en creux à partir de cet exemple la gageure qu’il y a de vouloir corréler indice, tableau de bord et bien-être, et faire que chacun se l’approprie des deux bords de l’échiquier politique.
Alors que chacun s’émeut aujourd’hui des logiques de chiffres qui nous assaillent de toute part, il est assez scabreux de constater que les rares espaces vierges où l’intelligence et la liberté des individus doivent encore s’exercer pleinement soient tour à tour la proie d’apprentis mécanistes qui ne rêvent que d’évaluations chiffrées et de tableaux de bord.
Clémenceau disait que « le meilleur moment de l’amour, c’est quand on monte l’escalier ». Il faut croire qu’il est des travaux de commission qui doivent relever de la même logique pour ceux qui s’y adonnent. On ne peut pourtant pas leur souhaiter que cela dure trop longtemps parce que comme le disait si bien Coluche : « Eh rigolez pas, c’est avec votre pognon ».
A l’heure ou un autre indice, selon Standard and Poors, exprime de graves menaces envers le bien-être des français, pour ceux qui comme moi pensent que le paquebot sur lequel nous sommes embarqués peut encore éviter de se fracasser sur le mur de la dette et de nos déficits publics, il y a plus important à faire que de jouer de la musique sur le pont aux frais des passagers, aussi doucereuse et médiatique soit-elle.
Pour ce qui me concerne, je prends date pour soumettre à l’épreuve des mois qui viennent les bénéfices comparés pour le bien-être régional de cet improbable indice avec, par exemple, les nécessaires réformes à apporter à notre organisation territoriale pour l’efficacité de laquelle je me sens autrement plus motivé.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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