20 Mai 2013
Lors de son récent voyage au Maroc, François Hollande a plaisanté devant la communauté française de Casablanca. Après une journée de visites bien arrosées, il a assuré à l’assistance que « gouverner c’est pleuvoir ». De ce point de vue là, il faut objectivement lui reconnaître une étonnante performance. Il a parfaitement réussi depuis son élection à recharger les nappes phréatiques du pays. Et ce n’est bien évidement déjà pas rien. Attention quand même à ce qu’à trop attirer la dépression, il ne finisse par susciter l’aversion à l’averse.
Je suis en revanche beaucoup plus critique sur les autres aspects du bilan de l’an I de moi président. Jeudi dernier, depuis ma voiture, j’ai attentivement écouté la longue déclaration incantatoire liminaire, verbeuse et pompeuse, de sa conférence de presse. Présenter le sérieux budgétaire comme la première réforme de son quinquennat était quand même osé. Donner aussi le nom de réforme au crédit d’impôt compétitivité (CICE) est tout aussi gonflé à l’eau de rose fanée. Même chose pour les contrats d’avenir et les contrats de génération. Faire passer pour de l’action ce qui n’est que du bidouillage des circuits de collecte et de redistribution de l’impôt m’est devenu insupportable. C’est ce que j’ai dit cette même soirée à France Bleue La Rochelle.
Et puis rien de tel quand tout s’effondre dans le pays que de porter le débat sur la scène européenne et de se faire le chantre d’une nouvelle ambition fédératrice. Aussi abracadabrantesque que cela puisse paraître, le hochet semble pourtant avoir intéressé la sphère médiatique décidemment plus facile à berner qu’il n’y parait. Alors qu’il est bien peu motivé pour refonder notre organisation nationale, François Hollande réussit à faire espérer que grâce à lui, les 27 sauront trouver la voie supra nationale de la croissance et de la baisse du chômage. Qu’y aura-t-il concrètement derrière les mots ? Evidemment rien.
François Hollande ne sera pas le soldat de l’an II, comme l’a titré Libé. Mais plutôt de l’an pire, comme l’a prédit Mélenchon. A coup sûr, c’est le scénario de bric et de broc(a) d’un mauvais film qui nous est annoncé. Les mines tristes des « marris de l’an II » n’auront pas les honneurs de Cannes en 2014.
Je reviens sur ce qui est à mon sens l’annonce la plus scandaleuse de cette conférence de presse. Pour démontrer son engagement pour la jeunesse, François Hollande s’est autorisé à faire miroiter cinq milliards d’euros qui pourraient être mobilisés pour l’emploi des jeunes par l’union européenne. Une fois de plus, l’annonce de sommes mirifiques est le substitut incontournable à l’action réelle. Du plus impur marketing politique qui puisse se pratiquer. Avant que cet argent illusoire ne concerne directement un jeune chômeur en Slovénie, en Grèce, au Portugal ou en France, députés européens, commissaires, gouvernements, administration européenne et nationale, tous ont largement le temps d’inventer le fil à couper le leurre. Mais faudrait-il d’abord qu’ils en ressentent la nécessité. Ou qu’ils y soient enfin contraints. Ce qui ne va peut-être plus tarder.
Quel est donc mes chers lecteurs l’un des aspects de la réalité vécue sur le terrain de l’emploi ici et maintenant? Les employeurs privés concernés vont-ils être sensibles à l’aide de 30% du SMIC qui leur est promise pendant trois ans pour l’emploi d’un jeune non qualifié qu’ils devront contribuer à former? Vont-ils saisir l’opportunité de percevoir 4000 euros pendant 3 ans pour embaucher plus tôt un jeune prometteur et anticiper le départ à la retraite d’un salarié de plus de 57 ans?
S’il est peu probable à mon sens que ces subventions influent sensiblement sur la décision d’un employeur, la diminution de coût sera évidemment appréciée et sollicitée par ceux que la manip administrative ne rebute pas trop et dès lors qu’ils rentreront dans le cadre.
En revanche, pour être attentif à la mise en place du dispositif, je constate une nouvelle fois que c’est la nécessité de donner raison au gouvernement qui prime et qui mobilise les administrations. Quitte à augmenter très sensiblement le prix de revient de l’opération en mettant en surrégime l’usine à gaz des acteurs amont de l’emploi.
Pendant ce temps là, il se passe des choses étonnantes dans les entreprises, chez les artisans et les agriculteurs qui mériteraient d’être humblement analysées.
Je pense à ce très valeureux artisan qui relève le défi de développer son activité et qui a souhaité m’informer de l’embauche de huit travailleurs roumains dans son atelier parce qu’ils logent dans le village et que cela pourrait surprendre. Après avoir galéré en tentant de recruter localement, il affiche maintenant un large sourire. Il peut enfin augmenter sa production.
Je pense aussi à mes collègues arboriculteurs et viticulteurs qui à force de se désespérer des difficultés à embaucher de la main d’œuvre saisonnière localement et d’appeler sans succès Pôle Emploi ont fini par trouver le numéro de téléphone magique. Un coup de fil à Sofia en Bulgarie à une très francophone interlocutrice et presque aussitôt la main d’œuvre attendue est à pied d’œuvre sur l’exploitation. Contrat de travail aux conditions de rémunérations d’ici en main, mais embauchés par l’agence d’intérim bulgare. Parfaitement autonomes, ils louent des gîtes ruraux et covoiturent. Ponctualité, constance, cœur à l’ouvrage, sérieux et de bonne humeur, comme les employeurs qui affichent leur contentement. L’agence pratique une annualisation qui permet aux salariés de gagner au moins 1500 euros nets et d’être quatre mois en vacances en Bulgarie. Pays ou le salaire auquel ils peuvent prétendre est inférieur à 300 euros.
Les champs de melon, les vignes, les vergers et autres sites agricoles s’emplissent de travailleurs roumains, bulgares, polonais, équatoriens, espagnols, portugais ou marocains.
Le prix de revient est un peu supérieur à un recrutement local par l’entreprise elle-même. Mais au regard de l’efficacité de ces travailleurs et de leur motivation, comparativement à l’usure nerveuse que procure le plus souvent le recrutement de candidats moins adaptés, le coût de revient est évidemment meilleur.
Le stress de l’employeur ne disparait pas pour autant. Il lui faut soutenir les contrôles plus assidus de la gendarmerie et de la Direccte. Mais est-ce plus effrayant que de devoir rompre un contrat de travail en cas de nécessité et s’exposer à un contentieux éprouvant et couteux?
Il serait intéressant de mesurer ce que notre PIB qui est à la ramasse doit à tous ces travailleurs sans qui la production s’effondrerait bien plus encore en France. L’emploi, la croissance économique, dans de nombreux secteurs d’activité sont tout autant affaire d’offre de force de travail et de savoir faire que de potentiel d’emplois.
Je crois bien plus à cette Europe de la libre circulation des biens et des personnes motivées, à l’émulation entre les nations, qu’au fantasme de milliards à distribuer conjointement par les politiques et leurs administrations pour améliorer les situations locales.
La difficile question à laquelle nous allons devoir répondre collectivement est la suivante. Comment faire évoluer l’éducation, la formation et les valeurs de référence pour que chacun puisse affronter lucidement le réel sans se faire désorienter vers l’exclusion et l’assistance qui résultent de la politique des bons sentiments des irresponsables qui nous gouvernent ?
Pour ce qui me concerne, après avoir choisi obstinément jusqu’à aujourd’hui de recruter localement, je mesure chaque jour un peu plus le risque économique qu’il y a à refuser le changement vers plus d’efficacité opéré par presque tous mes compétiteurs.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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