16 Novembre 2009
Merci Sy de ton commentaire affuté de technicienne qui m’oblige à développer un peu plus mes arguments en faveur des réformes en cours qui nous préoccupent tous les deux.
Pour ce qui concerne la taxe professionnelle, nous pourrions déjà tomber d’accord pour dire que, si sa suppression est bien prévue pour la fin de l’année, son remplacement par deux contributions répondant quasiment aux mêmes objectifs aura bien lieu simultanément.
Il serait donc beaucoup plus pertinent de qualifier le projet gouvernemental de réforme de la contribution des entreprises aux collectivités locales plutôt que de suppression de la taxe professionnelle. Voyons voir pourquoi Sy.
Jusqu’à ce jour les entreprises contribuent au budget des collectivités territoriales par une taxation de la valeur locative de leur immobilier et par la taxation de leurs immobilisations en équipements. Jusqu’en 2002, elles étaient aussi taxées sur le montant des salaires qu’elles versaient à leurs employés. C’est Dominique Strauss Khan, alors membre du gouvernement de Lionel Jospin, qui le premier a pensé qu’à force de répéter que cet impôt était imbécile il devenait temps de passer à l’acte. C’est ainsi que la part « salaires » a été supprimée de l’assiette de la taxation et que le manque à gagner pour les collectivités a été compensé par le budget de l’Etat. C'est-à-dire par de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt sur le revenu des ménages, de la TVA, de la TIPP, j’en passe et des meilleures. Depuis, quelque soit l’évolution de l’emploi, la compensation a évolué pour les collectivités à partir de la référence historique constatée au moment de la suppression et à peu près au rythme de l’érosion monétaire.
De temps en temps, pour stimuler l’investissement, les gouvernements successifs ont aussi pu décider d’exonérer de temps en temps et plus ou moins les nouveaux investissements des entreprises. La compensation étant à chaque fois assurée pour les collectivités par le budget de l’Etat.
Et en 2006, à la suite de l’annonce par Jacques Chirac au moment de ses vœux à l'Elysée de sa volonté de supprimer la taxe professionnelle, Dominique de Villepin a choisi de seulement plafonner la contribution globale des entreprises aux collectivités à 3.5% de leur valeur ajoutée. A partir de cet instant les collectivités découvraient à la fois l’horreur d’un bouclier fiscal qui limitait leur pouvoir de prélever et la crainte d’un rythme d’évolution de leur recette TP un peu plus corrélé avec la valeur ajoutée créée par les entreprises.
A ce stade, tu trouveras peut-être utile de rappeler toi aussi à nos lecteurs, ma chère Sy, que pour notre pays la somme des valeurs ajoutées constitue tout simplement le PNB.
Pour les entreprises comme pour les collectivités, la situation était elle alors satisfaisante?
On va voir que non, mais pas pour les raisons évoquées alors par les collectivités territoriales.
On se souvient des attaques très vives adressées par les élus de tous les bords contre ce qu’ils appelaient une « réformette » aux effets catastrophiques pour les collectivités. Réformette à leurs yeux qui était bien loin de la réforme ambitieuse et consensuelle préconisée par le rapport Fouquet qui proposait la taxation de la valeur ajoutée des entreprises.
Ce qui leur paraissait insupportable, c’était le plafonnement de la contribution des entreprises à 3% de leur valeur ajoutée. Ce bouclier fiscal avait pour effet de limiter le produit de la hausse du taux de la taxe professionnelle en fonction du volume de valeur ajoutée disponible des entreprises d’un territoire. La recette supplémentaire pour le budget en cas de hausse du taux de la taxe professionnelle se limitait au produit du complément de taux voté par l’assiette non plafonnée du territoire. Dans certains territoires il y avait encore de la marge et pour d’autres plus beaucoup. Dans les cas extrêmes les recettes n’augmenteraient plus que proportionnellement à la hausse de la valeur ajoutée des entreprises. Je n’ai toujours pas compris où était le scandale. Sauf peut-être quand j’entendais sur les estrades tel élu dire avec force qu’il était un gestionnaire responsable et qu’il devait pouvoir couvrir ses dépenses avec les recettes nécessaires. A pleurer. On voit déjà par cet exemple que le lien souhaité entre le territoire et ses entreprises ne signifie pas forcément que les élus aient envie de sécuriser les entreprises en acceptant de plafonner leur prélèvement pour être en phase avec leur capacité contributrice.
Le vocabulaire utilisé par les élus ou les commentateurs divers pour décrire cette situation mérite d’être rappelée tant elle est révélatrice d’un état d’esprit éminemment pervers. On disait que l’on allait reverser des sommes considérables aux entreprises et que ça allait coûter des fortunes au budget des collectivités. Il aurait été sans doute trop honnête intellectuellement de dire que l’on prenait tout ce que l’on s’était autorisé à prendre auprès des entreprises et pas plus et que l’on allait faire avec. Et qu’en tout cas ce ne serait pas moins qu’avant.
Mais cela ne te rappelle t’il pas, Sy, ce que l’on dit aujourd’hui du bouclier fiscal pour les hauts revenus ? On fait de gros chèques aux riches et ça coûte une fortune au budget de l’Etat.
Il m’arrive pourtant de penser que si je réussissais à créer plus de valeur par mon travail et par mon entreprise pour hisser mes revenus jusqu’à ce que je puisse en donner 50% en impôt sans plafonnement de montant, je serais bien plus utile à mon pays compte tenu de ma plus grande participation individuelle à la solidarité nationale. En fait, pour ce qui me concerne je suis plutôt admiratif et respectueux de tous ceux qui contribuent autant individuellement au budget de l’Etat. Mais là Sy, je sens que cela devient à la limite du supportable pour toi et je reviens donc à la situation créée par le plafonnement Villepin.
L’effet pervers de ce plafonnement, c’était l’incitation pour chacune des collectivités bénéficiaires de la taxe professionnelle d’aller chercher avant les autres le produit encore disponible pour cette taxe, compte tenu du plafonnement à 3.5% de la valeur ajoutée des entreprises. Pour cela, en raison de la règle de liaison des taux, il fallait augmenter préalablement les taxes ménages. On comprend facilement les dangers de cette course à l’échalote fiscale entre collectivités toutes détentrices de la clause générale de compétence.
Par ailleurs, les mêmes élus « responsables » agitaient déjà la menace de la création de la fiscalité mixte pour les communautés de communes en TPU compte tenu de la limitation insoutenable de la progression des recettes qui serait liée au plafonnement de leur ressource de TP. Sauf à considérer que les recettes des collectivités ont nécessairement besoin de progresser bien plus vite que la richesse produite dans le pays, cette menace était déjà totalement infondée.
Qu’est-ce qui est donc proposé aujourd’hui de si mauvais qui puisse justifier la fronde des élus ?
Les entreprises vont payer à partir du premier janvier une taxe sur leur immobilier, la Contribution Locale d’Activité, et une taxe sur leur valeur ajoutée aujourd’hui appelée la contribution complémentaire. Il semble à ce sujet que le nom de ces taxes pourrait changer, mais si Sy, pour s’appeler respectivement taxe foncière et taxe sur la valeur ajoutée.
Le taux de la taxe foncière sera fixé par les communes et leur groupement, mais aussi par le département. Le taux de la taxe sur la valeur ajoutée sera fixé par les députés. L’économie globale pour les entreprises serait de 11.6 milliards sur les 22.6 payés auparavant. Enfin ce sera plutôt 7.6 compte tenu de l’impôt sur les sociétés d’un tiers à payer sur le résultat qui suivra l’économie de TP. Et peut être moins selon les réglages d’assiette en cours au parlement.
Tu seras d’accord avec moi Sy pour convenir que ce n’est pas vraiment une suppression au sens propre du terme. On change simplement une assiette de taxation. On passe des investissements matériels à la valeur ajoutée et on plafonne la contribution totale à 3% contre 3.5% avant. Et puis tu seras aussi d’accord avec moi Sy pour rappeler ici qu’il est si facile d’augmenter un taux, élargir une assiette qu’il serait présomptueux de garantir aux entreprises que cette apparente modération est forcément durable. Espérons quand même que le rééquilibrage des contributions attendu entre le secteur industriel et les services aura des effets bénéfiques sur l’économie du pays. Ce qui permettra d’améliorer globalement les ressources de tous, collectivités y compris.
Venons-en si tu le veux bien, Sy, aux remarques des associations d’élus qu’over blog t’a contraint à partager sur deux commentaires.
Qu’en sera-t-il donc du lien entre les entreprises et le territoire ? Les collectivités seront-elles encore motivées par l’implantation d’entreprises si le profit fiscal qu’elles en retireront devient trop faible? Tu seras sans doute encore d’accord avec moi Sy pour trouver un brin étrange qu’un élu pense avant tout au pognon qu’il va encaisser plus qu’à l’envie d’avoir de la création d’activité sur son territoire et les emplois qui vont avec. Ces braves gens ne seraient-ils donc eux aussi motivés que par le lucre? Leur courage politique pour affronter les réticences de leurs électeurs ne serait en fait que proportionnel à la recette budgétaire à encaisser. Difficile à croire quand même Sy, non?
Au cas où ce pourrait par quelque extravagance être le cas, je crois savoir Sy que nos grands élus et les génies en tuyauterie fiscale de Bercy trouvent en ce moment même des corrélations convaincantes pour que les recettes des communes et des communautés traduisent assez clairement les évolutions de l’activité sur leur territoire, au-delà de la seule taxe foncière, par une répartition adaptée de la taxe sur la valeur ajoutée.
Pour ce qui concerne les craintes sur les coupes claires dans les recettes budgétaires des collectivités, tu pressens comme moi Sy qu’il est bien peu probable que cela puisse arriver. Si j’en crois le Journal Du Dimanche d’hier samedi (si Sy), les recettes avant la réforme et après la réforme seront bien entendu du même montant pour les collectivités. Un transfert du produit de certaines taxes et un peu d’augmentation des compensations permettra de réussir cette absolue nécessité. Comment peut-on honnêtement prétendre le contraire ?
Comme nous l’avons vu plus haut la progression future de ces recettes sera un peu plus liée que par le passé à l’évolution des dotations de l’Etat (en gros l’érosion monétaire), à l’évolution de la valeur ajoutée du pays (c'est-à-dire du PNB) et pas obligatoirement plus qu’avant aux impôts ménages. Evidemment en cas de récession, la composante valeur ajoutée sera en baisse. Mais n’est-il pas logique qu’il en soit ainsi, Sy?
Alors pourquoi dire que cette réforme nous conduit vers la fiscalité mixte et vers une contribution accrue des ménages? Rien à mon sens ne me semble contraindre une collectivité à augmenter des recettes plus rapidement que n’augmente sa base taxable, que ce soit la valeur ajoutée de son territoire ou la valeur locative de son foncier. Mais il peut y avoir des taux de taxes ménages qui sont encore très en dessous des maximums pratiqués dans certaines communes qui n’ont pas attendu que la TP soit réformée pour pressurer en toute responsabilité leurs habitants. Dans ce cas il peut y avoir comme avant un choix politique d’augmenter les taux pour élever le niveau de services rendus à la population.
En revanche la menace réitérée de voir se généraliser la fiscalité mixte qui nous éloignerait encore de la spécialisation fiscale souhaitée entre les différents échelons doit être à mon sens prise très au sérieux. Il faut se souvenir de la façon dont se sont constituées les communautés de communes. Dans le même temps ou des charges étaient transférées, lors de la constitution des communautés, de la fiscalité additionnelle a été créée. Pour autant on a pu constater que très rares étaient les communes qui voyant leurs charges diminuer ont choisi de réduire d’autant leurs ressources. Tu sais Sy que je suis d’autant plus à l’aise pour en parler qu’à Reignac nous avons choisi de réduire nos recettes fiscales à chaque fois que des charges ont été transférées à la communauté. Et même simplement quand une augmentation a eu lieu à la communauté et que nous souhaitions que cette hausse n’ait pas d’impact pour nos contribuables. C’est te dire Sy l’importance que j’accorde au sujet. Je suis convaincu que le processus va se poursuivre et que des charges seront transférées aux communautés sans que les recettes soient transférées dans les mêmes proportions. C’est pourquoi je propose à nos sénateurs, représentants des collectivités territoriales, saints parmi les saints comme chacun sait, de mettre fin à la possibilité d'instituer la fiscalité mixte dans les communautés de communes. Pour augmenter les recettes d’une communauté il suffit d’appeler des contributions aux communes qui la composent. Elles décideront elles mêmes de la façon dont elles voudront s’acquitter de la charge, hausse des impôts ou non. Cette règle rendrait bien plus communautaires les maires. La frontière entre la communauté et les communes qui la composent s’atténuerait au fil du temps et les choix communautaires seraient réellement portés par tous les maires. Cette disposition va de pair avec les nouveaux pouvoirs qui seront donnés au conseil communautaire et avec l’élection directe au suffrage universel des conseillers communautaires parmi lesquels sauf exception se trouveront tous les maires.
Tu vois Sy, à mon sens il y a beaucoup plus de positif dans cette réforme en cours et encore plus dans celle à venir des collectivités territoriales que ne peuvent en voir nos sénateurs fébriles en croisade. Il m’arrive de penser qu’il doit d’ailleurs y avoir une corrélation symbolique très forte entre la campagne réactionnaire qu’ils conduisent et le retard affiché par notre département en matière d’infrastructures routières et autres. Edgar Faure aurait pu dire que dans ce département « l’immobilisme est en marche et rien ne pourra l’arrêter ». Si j’emploie des mots assez durs, que j’adorerais éviter, c’est justement parce que je crois qu’il peut en être autrement et que nous pouvons regarder différemment nos fonctionnements actuels et avoir envie de les changer sans se faire peur avec des détails qui trouvent toujours des solutions.
Deux autres sénateurs se sont exprimés cette semaine dans le Monde et leur contribution m’a paru autrement plus convaincante que les écrits des nôtres que je garde comme pièces à conviction pour plus tard, quand ils pourront être confrontés à ce qu'aura été l’évolution des choses.
Et pour ceux qui n’ont pas le cœur trop sensible je propose aussi l’interview de Christine Lagarde parue dans le JDD et un article de Slate.fr.
Dans l'attente d'avoir très vite le plaisir de te lire encore ma très chère cammarade Sy, je t'embrasse chaleureusement.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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