13 Avril 2009
Hier matin, dans son émission « L’esprit public » sur France Culture, Philippe Meyer en compagnie de Max Gallo, Philippe Labarde et Yves Michaud recevait Jean Luc Gréau auteur entre autres livres de « La trahison des économistes ». L’analyse de la crise que nous livre Gréau peut se résumer un peu schématiquement de la façon suivante. Nous vivons depuis une trentaine d’années une déflation salariale généralisée sur la planète liée à la libéralisation des échanges et à la réussite de nouveaux entrants dans l’économie de marché capitaliste comme la Corée, la Chine, les pays du Sud Est asiatique, l’Inde et quelques autres pays de l’Amérique du sud dont le Brésil, pour ne citer que les principaux. Pour compenser cette déflation salariale et maintenir un taux élevé de croissance, le recours massif à l’endettement des ménages s’est développé. Le crash est donc logiquement venu du pays qui a poussé le système à son paroxysme en atteignant un record de l’endettement par individu, c'est-à-dire les Etats-Unis.
La trahison des économistes qu’il dénonce, c’est d’avoir occulté cette réalité et de continuer à soutenir la libéralisation des échanges et de la concurrence à l’échelle de la planète. La théorie de Ricardo sur les avantages comparatifs ne lui semble dans ce nouveau cadre évidemment plus d’actualité. Le remède à la crise consisterait donc selon lui à assumer un certain protectionnisme à l’échelle de l’Europe, mais aussi à l’intérieur de l’Europe, compte tenu du fait qu’à ce jour la concurrence n’est bien entendu pas libre et non faussée. En associant à ces mesures l’obligation pour les actionnaires de s’engager à long terme pour avoir le droit de vote dans les entreprises, il résulterait mécaniquement un cercle économique vertueux et tout naturellement une hausse des salaires qui sont à ce jour trop bas. Au passage, FMI, OCDE et autres organisations internationales incapables selon lui de prédire le présent en prennent pour leur grade tout comme plus gentiment quand même les dirigeants de la planète qui préfèrent être timorés collectivement que politiquement audacieux et protectionnistes seuls.
Le débat était comme toujours dans cette émission de très bonne tenue. Il manquait quand même un contradicteur à l’unanimisme des intervenants. Peut-être faut-il alors retenir que la question essentielle non résolue a été posée par Labarde qui ne comprenait pas très bien comment il résulterait assez mécaniquement une hausse des salaires d’un meilleur protectionnisme et de la responsabilisation des acteurs par le droit.
Je me pose forcément la même question. Si je suis bien évidement d’accord pour dire que nous ne sommes pas dans un libre échange avec une concurrence libre et non faussée, en revanche je n’en tire pas la même conclusion quant à la ringardise de la règle des avantages comparatifs comme moteurs nécessaires de la concurrence entre les acteurs économiques. Le protectionnisme se justifie pleinement lorsqu’il contrebalance une absence de réciprocité dans les échanges. En revanche il n’est qu’une étape vers ce noble objectif qui est de tendre prudemment vers une certaine concurrence libre et non faussée qui va de pair avec le respect de la liberté individuelle partout dans le monde. Par définition protectionnisme et autres corporatismes se construisent aux dépens de ceux qui n’en bénéficient pas. L’Etat et la qualité de l’organisation d’un pays étant dans ce cadre les éléments essentiels de la compétitivité des biens et services et de leurs avantages comparatifs. Et ce n’est pas parce qu’il y a une infinité de paramètres qui concourent pour définir la compétitivité que l’on doit s’affranchir de cette réalité et faire le choix déprimant et paupérisant du repli sur soi.
A la suite de cette émission je me suis plongé dans la lecture des journaux, en commençant par La Montagne, présence dans le Cantal oblige. J’y ai trouvé le rappel du parcours atypique de Renè Monory décédé samedi, du petit garage de Loudun à la présidence du Sénat. Cette lecture m’a semblé faire un contrepoint utile au débat intellectuel que je venais d’entendre. Il était le fils d’un mécanicien compagnon du tour de France et d’une employée de ferme qui avait commencé à travailler à 9 ans. Il débute en 1939 comme apprenti dans le petit garage paternel de Loudun dans la Vienne. Moins de 10 ans plus tard il en a fait une concession automobile et de machines agricoles prospère qui devient la SA Monory. Il devient maire de sa ville natale à 35 ans en 1959 et commence ainsi une carrière politique qui le conduira à la présidence du Sénat en 1992 après avoir été deux fois ministre. Paradoxe intéressant à noter il devient ministre de l’économie de Raymond Barre (surnommé lui Raymond la science) en 1977 sans avoir jamais lu un livre d’économie. Il revendique pour tout viatique son expérience et son bon sens. Il prend le portefeuille de l’éducation en 1986 doté du seul certificat d’études. C’était un autodidacte passionné de prospective et de nouvelles technologies qui avait comme obsession la société de la connaissance. C’est ainsi que d’un champ de betteraves il a fait le Futuroscope, parc de loisirs de référence assorti d’un technopôle. Son œuvre.
Jean Pierre Raffarin donne dans le Journal du Dimanche quelques clefs pour comprendre celui qu’il qualifie « d’entrepreneur de la politique ». Il nous apprend par exemple « qu’il avait cette compétence, mystérieuse pour les élites parisiennes de savoir discuter avec les plus grands sans avoir de bagage théorique, en ne s’inspirant que de sa pratique. L’idéologie n’avait pas de prise sur Renè Monory ». Autre clef de compréhension du personnage selon JPR: «c’était un de ses leitmotivs : mieux vaut une décision imparfaite appliquée tout de suite qu’une décision parfaite qui arrive trop tard. C’était un décideur professionnel ».
L’une des premières mesures qu’il avait prise comme ministre de l’économie était la libération des prix, à commencer par celui du pain. La seconde emblématique a été la création des SICAV pour orienter l’épargne populaire vers l’entreprise. C’était il y a trente ans.
Les débats théoriques sont utiles et souvent passionnants, mais seule l’action permet de se confronter concrètement au monde réel et d’évaluer sa capacité à le transformer, ou plus modestement à en infléchir l’évolution. En cela il y aura toujours plus à recevoir et à apprendre d’un Renè Monory qui agit que d’un intellectuel qui théorise seulement, aussi brillant soit-il.
Dans le cadre de ma fonction de président de l’association des producteurs de pommes et de poires je suis confronté depuis quelques semaines à la question du protectionnisme politique du marché russe à l’encontre des pays européens et plus récemment à l’entrée assez vigoureuse sur notre marché national de pommes à bas prix en provenance de Pologne.
Voilà deux exemples parmi tant d’autres qui illustrent concrètement le thème du protectionnisme et des avantages comparatifs.
Le gouvernement russe a décidé d’abaisser drastiquement les LMR (limites maximum de résidus) de certains produits sanitaires utilisés pour la production de pommes en Europe. Le niveau à respecter devient ainsi très inférieur à la norme harmonisée maintenant en Europe. Concrètement, pour pouvoir dorénavant accéder à ce marché il ne faut pas avoir utilisé du tout certaines matières actives, ce qui est à ce jour impossible. Bien entendu le choix russe ne correspond nullement à une préoccupation plus élevée qu’en Europe de la santé des consommateurs mais est l’arme puissante de dissuasion qui a été trouvée pour pénaliser une production majeure en Europe et pouvoir négocier ainsi d’autres positions stratégiques pour le pays. Nous avons engagé avec les autres acteurs de la production en Europe un lobbying auprès de la commission européenne pour qu’elle se saisisse du dossier et négocie une levée de cette barrière non tarifaire injustifiée. Dans le même temps il semble que certains pays aient engagé en complément des discussions bilatérales pour tirer leur épingle du jeu mais avec des fortunes diverses à ce jour. Nous sollicitons nous même l’Etat français en ce sens.
Mais pour l’instant cette fermeture de marché a déjà pour conséquence de déséquilibrer gravement l’offre et la demande en reportant sur les autres marchés les fruits qui étaient destinés à la Russie et les prix forcément baissent. Nous subissons de plein fouet les effets collatéraux de la volonté russe d’obtenir des concessions pour d’autres échanges. Le protectionnisme de ce pays s’il doit perdurer conduira inévitablement le notre à réduire drastiquement sa production pour retrouver un nouvel équilibre.
L’autre exemple est inverse mais peut conduire au même résultat pour nous. La récolte passée a été très abondante en Pologne après une récolté 2007 décimée en partie par le gel. Compte tenu de cette situation nos collègues polonais ont aussi comme nous l’absolue nécessité de trouver des débouchés à l’extérieur de leurs frontières. Compte tenu de leur prix de revient ils acceptent des prix de vente sensiblement inférieurs aux nôtres. Les enseignes de la grande distribution française soucieuses d’attirer les consommateurs dans leurs magasins rivalisent d’énergie pour s’approvisionner le moins cher possible afin d’être attractives tout en conservant leurs marges. Quoi de plus logique…à court terme.
Nous sommes donc à la fois gênés par le protectionnisme russe et par notre absence de protectionnisme à l’égard de la Pologne, pour ne se limiter qu’à ces deux exemples.
Les producteurs de pommes de France qui ont longtemps été les premiers exportateurs dans le monde peuvent difficilement revendiquer un accès le plus libre possible aux marchés de la planète tout en demandant un protectionnisme pour leur marché national. Et pourtant l’avantage comparatif de nos collègues polonais provient d’un environnement réglementaire, économique et social extrêmement favorable et peut s’analyser comme un dumping outrancier vis-à-vis de nous qui devons subir des conditions d’exercice de notre métier autrement plus contraignantes. On comprend bien que dans cette situation la régulation à instituer n’est pas simple et relève en permanence de compromis. Lucidement notre ambition ne peut pas être de fermer les frontières mais bien de les ouvrir en améliorant sans cesse les termes de l’échange.
Pour aller un peu plus loin je dois aussi évoquer ma rencontre à Marseille il y a dix jours avec Roman Cybulski, le président des organisations de producteurs de fruits et légumes de Pologne. Dans un premier temps il a présenté la production de son pays, les investissements en cours et la nécessité de commercialiser une partie importante de la production hors de Pologne. A la fin de son exposé il a souhaité que nous instituions un dialogue permanent pour parler de nos stratégies respectives afin de mieux réguler le marché. Je suis bien sûr très demandeur de ce travail, d’autant plus qu’il concluait par le désarroi dans lequel se trouvent les arboriculteurs de Pologne en situation économique très difficile en raison des très bas prix de la campagne en cours. La situation n’est en fait pas pire ici que là bas.
Comme il n’existe pas de solution protectionniste simple à mettre en œuvre nous devons
agir différemment pour maintenir et redévelopper une production de pommes et de poires dans notre pays. Bien que toutes concurrentes entre elles les organisations de producteurs peuvent être
solidaires pour une stratégie collective de promotion de l’identité de l’origine France au travers de la charte de production fruitière intégrée et d’un haut niveau qualitatif des fruits mis sur
le marché. Un travail permanent pour tisser des liens étroits avec les consommateurs et de négociation avec la distribution qui s’appuie sur nos moyens en marketing, sur la sécurisation des
approvisionnements à moyen et long terme du marché français et au maintien du tissu économique et des emplois doit permettre de ne pas succomber à une situation conjoncturelle. Et bien sûr malgré
des comptes de résultats très tendus il faut aussi innover sans cesse et réactiver la chaine de progrès qui va de la recherche jusqu’aux exploitations. Nous devons également obtenir que notre
pays ne fasse pas cavalier seul dans son emballement normatif qui donne très allègrement des avantages comparatifs à nos challengers auxquels il devient très difficile à la suite de résister. Il
me semble de plus en plus difficile d’accepter cet Harakiri national permanent dont les auteurs semblent penser bien à tort qu’ils sont eux-mêmes définitivement à l’abri des conséquences
économiques négatives qu’ils engendrent.
Après les Alpes, de Manosque à Sisteron, puis au sud de Vienne, du Pilat au canton de Roussillon et ensuite en Provence,
j’ai pu constater une fois encore cette semaine dans le Limousin, de Saint Aulaire à Saint-Yrieix La Perche puis à Pompadour en rencontrant les dirigeants producteurs des quatre coopératives
fruitières qui ensemble commercialisent près de 100.000 tonnes de pommes que nous avons de très forts avantages comparatifs dans nos régions de production de pommes et de poires. Le terroir bien
sûr, le climat sans doute, mais avant tout les hommes qui entreprennent permettent d’avoir confiance dans notre capacité à relever tous les défis qui se présentent à nous. Organisés en réseau et
solidaires je crois que nous saurons inverser le déclin annoncé. Et pour y parvenir nous allons étudier finement l’état des forces en présence et les avantages comparatifs des uns et des autres.
Nous devons en effet agir efficacement dans toutes les directions.
En fin de matinée samedi, après mes derniers entretiens de la semaine, j’ai quitté Pompadour pour me rendre à Aurillac chez mon coupeur de mou préféré. Le moment était venu de fêter par un nouveau traitement, millésimé cette fois ci, l’arrêt du poison de ces six derniers mois.
J’ai fait un léger détour pour passer par le village d’Auriac, le village natal de Denis Tillinac.
En demandant à mon GPS de m’y conduire par le chemin le plus court j’ai pu emprunter des routes improbables et traverser
ainsi des paysages magnifiques, malgré la pluie. Arrivé à ce très joli village d’Auriac dont parle sans cesse cet auteur que je lis avec tant de plaisir j’ai pu déjeuner dans le petit bar
restaurant situé en face de l’église. La moitié du village y déjeunait aussi semble t-il pour fêter je ne sais quel évènement. J’ai demandé à la serveuse si elle connaissait Denis Tillinac. Elle
m’a répondu que non et qu’elle n’était que salariée et qu’il fallait que je demande au patron et mieux encore à sa mère qui en sait beaucoup sur les écrivains locaux. Tillinac l’écrivain, me dit
cette dernière habite le château en bas du hameau de Lalo, pas très loin du bourg. L’envie de humer l’atmosphère de ce lieu m’y a conduit. En fait le terme château n’est pas très approprié. Il
s’agit plutôt d’une grande demeure adossée à des prés où broutent des vaches. Plutôt belle cette maison où Denis Tillinac dit avoir écrit tous ses livres dans le chapitre qu’il consacre à son
village dans son « Dictionnaire amoureux de la France » que j’avais emmené avec moi et dont j’ai relu en déjeunant les chapitre dédiés à son village et à la Xaintrie. Malgré sa
notoriété d’écrivain, d’éphémère délégué à la francophonie sous le règne de son copain Chirac et de directeur des éditions de la Table Ronde jusqu’en 2007, il ne semble pas avoir suffisamment de
moyens pour faire les travaux de restauration qui commencent à s’imposer. A moins qu’il n’ait fait le choix de conserver les lieux dans cet état, sans trop y toucher. J’ai consulté aujourd’hui
Amazon et je vais ajouter dans ma bibliothèque ses premiers bouquins et quelques autres. J’ai besoin de ces lectures qui m’éloignent de mon
cartésianisme un peu désincarné. Tillinac n’a pas ce travers.
J’ai bien fait de faire long aujourd’hui sinon j’aurais eu du temps pour parler de la situation de la communauté de communes du blanzacais, du rôle de l’Etat et des perspectives en débat pour l’organisation du couple communes communautés. Mais vous ne perdez rien pour attendre parce que je crois inévitable de vous infliger mon point de vue bientôt.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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