28 Mai 2006
Tôt le matin dimanche dernier à Brossac, j’ai accompagné Pierrot dans sa mini jeep pour vérifier une dernière fois avant le départ que le parcours du trail était bien dégagé et que la signalisation était toujours en place. C’est un sportif, il court et fait du vélo régulièrement. Il ne manque pourtant pas d’activité physique pendant la semaine puisqu’il est maçon. Je lui ai demandé s’il avait du travail en ce moment. Comme il me répondait : « plus que je peux en faire », j’ai voulu savoir pourquoi il travaillait seul. Il m’a expliqué qu’après avoir eu jusqu’à deux apprentis il préférait ne plus en prendre, trop de contraintes réglementaires qui limitent leurs activités et des parents pas toujours compréhensifs. Ayant débuté comme apprenti lui même, puis comme salarié avant de se mettre à son compte, il n’accepte pas ce qu’ils considère comme des exigences coupées des réalités. Il préfère donc l’entraide entre collègues tout en reconnaissant pourtant qu’il faudrait former des jeunes et leur faire bénéficier de l’expérience des artisans confirmés. A le voir descendre de voiture et enfiler son short pour se lancer tout sourire sur la piste pour 20 kilomètres d’effort je me disais qu’il y aurait beaucoup à apprendre de lui et de son rude parcours pour comprendre comment se construit, se réalise et s’épanouit un individu. Une forme d’illustration d’une parabole de Sorën Kierkegaard qui dit : « Ce n’est pas le chemin qui est difficile, c’est le difficile qui est le chemin ».
Depuis deux semaines maintenant je diffuse une offre d’emploi pour le recrutement d’un ouvrier viticole en contrat à durée indéterminée. Presque chaque matin mes collaboratrices l’air désolé me font savoir qu’en dehors du candidat que j’ai reçu et que j’ai envie de recruter personne d’autre ne s’est manifesté pour le poste. A quarante cinq ans ce salarié dispose déjà d’un emploi permanent. Il est passé par plusieurs entreprises, n’a encore jamais connu le chômage et son employeur d’aujourd’hui aura sans doute des difficultés pour le remplacer. Nombreuses sont les entreprises aujourd’hui qui ont des difficultés pour développer leur activité en raison des problèmes de recrutement qu’elles rencontrent. Cette tension sur le marché du travail serait vraiment une excellente nouvelle si dans le même temps nous n’étions pas confronté à un nombre de chômeurs aussi élevé auquel il faut encore ajouter un nombre sans cesse grandissant de bénéficiaires de minima sociaux non comptés dans le chiffre officiel du chômage. En réalité ce sont plus de 4.200.000 personnes qui sont exclues aujourd’hui de l’emploi.
Dans le même temps j’ai pu assister aux assemblées générales de deux associations, l’AISC et la PAIO, qui toutes les deux accueillent, informent et accompagnent, y compris par des formations, les demandeurs d’emploi du Sud Charente. J’ai perçu à travers les témoignages des travailleurs sociaux qui se sont succédés pour faire le bilan de leur action toute la détresse des personnes qu’elles reçoivent et toute la distance qui les sépare encore durablement de l’emploi. Mais comme l’ensemble de l’assistance j’ai eu aussi la confirmation en direct live du manque de coordination entre ces deux associations et l’ANPE pourtant en relation en partie avec le même public.
Il n’y a aucune fatalité à ce que le taux d’activité des personnes en âge de travailler soit en France le plus faible des pays de l’OCDE. Si l’on attribue un indice de 100 au meilleur du groupe, nous nous situons à 66% de ce niveau. S’il n’y a pas de normes en matière de nombre d’heures travaillées par an et par individu, puisqu’il s’agit bien sûr d’un choix de société, rien ne peut justifier l’ampleur de l’exclusion de l’activité que nous connaissons avec toute la misère sociale qui l’accompagne. Nous ne pouvons pas non plus nous donner bonne conscience en disant par exemple que contre le chômage tout a été essayé puisque c’est évidemment faux. Je me permets à ce sujet de reproduire l’intégralité d’un article paru dans le Monde du 13/05/06 qui s’intitule : « Comment récupérer les exclus du travail » de Edmund Phelps, professeur d’économie politique à l’université Columbia de New York. J’adhère depuis longtemps à cette approche de la compensation de la valeur économique des personnes qui ne peuvent accéder aux normes exigeantes que nous nous sommes données en matière de productivité minimum. C’est d’ailleurs la vocation du CAE pour le secteur public. Bien que réticent au début je trouve que le contrat d’accompagnement vers l’emploi permet d’offrir des emplois en grand nombre dans les collectivités pour les personnes en situation très difficile et sans qualification. Sous réserve d’un encadrement solide, parce que ces contrats peuvent être conclus pour la durée légale du travail (les heures supplémentaires sont aussi possibles) et au moins au salaire horaire minimum, il y a vraiment la possibilité de redonner goût et intérêt à l’activité. Il faut me semble t’il agir très volontairement dans ce sens. Je pense même que ce dispositif, tant il est incitatif, doit permettre d’embaucher tous ceux qui sont concernés.
La communauté de communes des 3B est sollicitée depuis plus d’un an maintenant pour participer à deux projets dont j’ai déjà parlé ici, la Mission locale et la Maison de l’emploi. Par une délibération de décembre 2005 nous avons affirmé notre détermination à travailler avec nos partenaires à la réalisation des deux. Le projet Mission locale à l’échelle des deux pays, Ouest Charente et Sud Charente, est en cours d’élaboration et devrait aboutir à l’échéance prévue, c’est à dire janvier 2007. Il reste encore tout à faire (élaboration et validation du projet, organigramme et organisation de la nouvelle entité, budget et montant de la participation des communautés de communes) mais il n’y a pas de doutes sur la nécessité de cette mission locale en remplacement des deux PAIO existantes.
Que peut-on dire en revanche de la Maison de l’emploi ? De quoi s’agit-il ?La communauté de communes des 3B a t’elle raison de s’engager très volontairement pour sa création ?
Jean Louis Borloo a crée les maisons de l’emploi pour rendre un meilleur service aux employeurs et aux demandeurs d’emploi. La vocation de ces maisons est d'assurer au plus près du terrain une meilleure coopération entre les acteurs autour d'un projet de territoire construit à partir d'un diagnostic, d'un plan d'action et d'une programmation. Leur force doit être « de rassembler en un même lieu, physique ou virtuel, le Service public de l'emploi (Etat, ANPE, Assedic, collectivités locales) et les multiples partenaires que sont l'Afpa, les Missions locales, les PAIO, les chambres consulaires, les organismes de développement économique et d'insertion professionnelle... et bien sûr tous les acteurs locaux qui travaillent au plus près du terrain », dixit le ministre.
En creux cela signifie que c’est un peu le foutoir aujourd’hui, que chacun travaille dans son coin et que les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens engagés. La Maison de l’emploi permettra t’elle alors d’inverser les logiques internes qui tendent à éloigner les organisations les unes des autres parce qu’elles sont concurrentes et sur le même marché ? Il faut garder à l’esprit que dans ce métier très particulier de l’accompagnement vers l’emploi la réussite définitive de la mission signifie aussi la disparition de son propre emploi! Cette perspective, toute théorique et improbable, n’est pas neutre sur l’inconscient et les comportements qu’elle détermine dans les organisations dont l’activité est fonction de la population en demande d’accompagnement. La fusion dans une seule et même entité bien réelle qui assurerait toutes les fonctions des différents acteurs concernés serait à priori plus satisfaisante intellectuellement pour réussir les synergies attendues. Outre que c’est pas demain la veille, le risque d’une usine à gaz peu performante est aussi énorme. Il reste donc à tenter de motiver la coopération entre tous par la réunion des acteurs autour d’un diagnostic et d’un projet avec la participation active des collectivités locales et de leurs élus. La tâche est bien sûr ingrate puisque la maison de l’emploi n’aura aucune autorité directe sur les membres constitutifs ou les partenaires associés. L’aiguillon sera plus subtil et résidera comme souvent dans l’influence sur l’accès aux financements, mais il dépendra surtout de la qualité des personnes réunies. Je suis bien conscient que ce n’est pas fait pour marcher, que les partenaires, sauf l’Etat, vont y aller à reculons, mais je pense que l’expérience doit être tentée. Pour notre communauté qui se préoccupe de développement économique, qui s’engage dans la future Mission locale mais aussi auprès de l’association Entreprendre en Sud Charente, il semble indispensable de rechercher le maximum de cohérence avec tous les acteurs qui agissent pour l’amélioration de la situation de l’emploi sur ce territoire. J’ajoute que nous souhaitons également équiper en moyens de communications informatiques adaptés les mairies ainsi que des lieux adaptés à Brossac, Baignes et Barbezieux pour optimiser l’accès aux services publics pour tous au plus près des besoins. Cette démarche s’articule parfaitement avec une organisation en guichet unique comme la Maison de l’emploi. Alors bien sûr chacun redoute les coûts qu’il va falloir couvrir de façon récurrente. Au début on peut supposer que l’Etat assumera son engagement de participer au financement du fonctionnement et des investissements, mais il faut déjà anticiper ce que seront dans un second temps les coûts à partager entre les membres. Il est toujours difficile d’engager des dépenses nouvelles bien réelles pour une collectivité comme les 3B en prenant le pari d’obtenir des résultats et des économies qui ont vocation à améliorer la situation de la collectivité tout entière. La tentation est grande de dire que c’est à l’Etat de payer. A part que cela revient au même, qu’il faut bien que les ressources soient prélevées par quelqu’un et que si l’efficacité peut-être obtenue en impliquant les élus au plus près des problèmes à résoudre il faut accepter de franchir le pas. Il y a des prises de risque pour lesquelles je n’hésite pas beaucoup, celle ci en fait partie.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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