19 Août 2008
« On ne peut évidemment pas s’empêcher de penser que, décidemment, et après la fixation faite sur les 35 heures, la droite n’aime guère cette CMU, une des mesures phares du gouvernement Jospin. » C’est en lisant une première fois en diagonale la livraison du 13 août de Jacques Guyon dans la Charente Libre que je suis tombé sur son appréciation toute sibylline et mystérieuse de la droite au regard de la CMU. Pour bien insister sur le mauvais travers idéologique permanent de la droite, l’auteur croit bon de rappeler dans la même phrase qu’il y a là une forme de continuité avec « la fixation faite sur les 35 heures ». Une fois n’est pas coutume, j’ai eu cette fois-ci envie de prendre le temps de lire en entier le prêche de frère Jacques.
Une circulaire interne émise par le directeur de la CNAM et rendue publique par le journal l’Humanité fonde l’argumentation de l’auteur. Par cette circulaire le directeur de la caisse s’adresse aux praticiens pour leur demander d’être vigilants sur le comportement des bénéficiaires de la CMU. A partir de là le syllogisme est tout simple. La sécu stigmatise les pauvres et veut faire des économies sur leur dos pour équilibrer les comptes, on imagine en creux que Sarkozy (selon la perception de l’éditorialiste) ne dit pas autre chose, donc la droite n’aime pas la CMU. Un peu de littérature pour montrer avec force digressions scabreuses comment cette société devient inhumaine pour les plus démunis et en conclusion, il devient simple de rappeler l’œuvre du bon Jospin et de la gauche tout entière pour développer les solidarités. Il va de soi qu’au passage, avec un tel éditorial, l’auteur adopte la posture de l’homme bon, généreux, moral, si attentif, lui, à toute la misère du monde, capable de prendre la plume pour dénoncer la bassesse des décideurs et de la droite.
Bien qu’adepte inconditionnel de l’économie de marché je ressens toujours une certaine gène vis-à-vis des pratiques de bonimenteur utilisées pour vendre du papier ou autre chose à un public crédule. Le lecteur et le client sont libres bien sûr, mais rien n’interdit pour autant une certaine dignité des acteurs pour améliorer les termes de l’échange, comme disent si bien les économistes.
La posture doit se suffire à elle-même et on cherche ainsi vainement dans cet éditorial la moindre piste concrète pour réduire structurellement la pauvreté en France et diminuer la nécessité des revenus d’assistance. On perçoit pourtant bien à la fin de l’article (« aujourd’hui 17% des enfants de moins de 10 ans vivent dans un foyer CMU ») que la paupérisation est forcément la conséquence de la politique conduite dans le pays. Mais s’il n’est pas fait état de la stratégie politique à conduire pour supprimer la pauvreté, on devine que pour l’auteur face à l’inéluctable, il y a seulement lieu de faire agir la solidarité nationale à laquelle la droite est forcément rétive. La liberté sacrée du bénéficiaire de la solidarité exclut de laisser agir en « dames patronnesses » le directeur de la caisse et les médecins pour infléchir les comportements à risque et bien utiliser le dispositif. La générosité individuelle de gauche, défendue par l’auteur, s’exprime en demandant à l’Etat d’assumer pour notre compte la solidarité auprès des plus démunis. Il suffit pour cela de taxer plus riche que soi même et si les moyens manquent de dénoncer les profits insuffisamment taxés et autres cadeaux fiscaux aux nantis. L’individu est une victime irresponsable de la société qui doit donc payer pour réparer les dégâts qu’elle commet. La corrélation avancée par certains entre les outils (CMU, RMI etc…) et les comportements de désocialisation et de déresponsabilisation induits est une analyse perverse qu’il faut à tout prix dénoncer. La gauche aime le RMI, la gauche aime la CMU. Si j’étais mauvaise langue je dirai que par ces moyens chacun peu masquer son égoïsme et son absence de générosité en transférant ses obligations sur le collectif. En rencontrant chaque jour des militants UMP et en les écoutant pour comprendre les motivations de leur engagement je suis souvent surpris d’entendre certains d’entre eux venus de la gauche me dire qu’ils ont changé de camp, lassés d’entendre sans cesse parler de social et de constater un fossé immense entre les paroles et les actes. Je ne sais plus qui disait que la gauche aime tellement les pauvres qu’elle en fabrique. Nul doute que cette approche éditoriale offusquée ne participe du refus de résoudre la pauvreté et donc de la laisser se développer. Pas question d’être pragmatique, ni de se salir l’image en prenant à bras le corps le problème. Etre de gauche c’est aussi ça, s’astiquer le pistil en se regardant dans la glace tout en trouvant mille bonnes raisons pour ne pas agir, pour ne pas prendre de risque. C’est la droite qui met en œuvre le RSA avec Martin Hirsh pour sortir de la mise à l’écart d’une partie de la population, pas la gauche.
Etre de droite signifie t-il que l’on soit moins généreux et attentif aux plus démunis. Pas si sûr. Pour ce qui me concerne, et je ne suis pas le seul, agir en politique vise à trouver les règles et l’organisation collective qui permettent à chacun d’être autonome, responsable et puisse compter principalement sur ses propres ressources pour vivre décemment. Ce qui n’exclut bien entendu pas tous les mécanismes de solidarité qui renforcent la sécurité pour chacun, surtout pour les plus faibles, et permet encore plus la prise risques, si nécessaire à l’innovation et à l’adaptation à un monde sans cesse en mouvement. Il y a un déterminisme de la règle et de l’environnement sur le comportement des individus. Dans le même temps les ressources des individus sont immenses dès lors qu’on les stimule au lieu de les anesthésier. Les parcours proposés sont sans doute plus ardus mais conduisent plus surement à la dignité.
Pour paraphraser notre président, je dirai que je connais des métiers moins risqués que directeur de la CNAM, éditorialiste par exemple.
Sous toutes réserves, dont acte.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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