Jeudi matin lors de la cérémonie des vœux de l’assemblée des communautés de France dans les salons de l’hôtel Saint James rue de Rivoli, le président Marc Censi a
évoqué la situation de l’intercommunalité en ce début d’année 2008 ainsi que les perspectives de réformes qui la concernent.
En introduction il a choisi d’insister très fortement sur l’importance prise par la coopération intercommunale en France depuis la loi de 1992. Loi dont on ne
soupçonnait peut-être pas bien à l’époque les effets considérables qu’elle allait avoir à long terme. Pour mieux imager l’ampleur du bouleversement provoqué, Marc Censi a comparé l’effet de
l’impulsion donnée à celui du battement d’aile d’un papillon en Océanie susceptible de déclencher un ouragan de l’autre côté du globe et à celui du séisme d’un fond sous marin qui provoque un
tsunami à la surface de la mer. Pour être encore plus expressif il a présenté la création de l’intercommunalité comme l’évènement institutionnel le plus important pour l’organisation territoriale
de la France depuis la création des départements en 1790. Communautés de communes, communautés d’agglomération et communautés urbaines se voient ainsi chaque année confier une part plus
importante des missions jusques là assumées individuellement par les communes. Le bouleversement est d’autant plus étonnant qu’il s’accompagne en permanence d’expérimentations et d’innovations
qui vont au-delà des possibilités réglementaires du moment et prennent souvent de court le législateur contraint de ramer derrière. Cette réussite s’explique avant tout par la nécessité
incontournable d’asseoir budgétairement sur un territoire plus grand que celui d’une commune nombre d’équipements et de services qui bien qu’implantés sur une ou plusieurs communes bénéficient
aussi à la population de nombreuses autres. D’autres pays ont été confrontés à cette nécessité et ont choisi pour y faire face le regroupement des communes jugées trop petites. La France a choisi
de maintenir toutes ses communes et de leur permettre de coopérer ensemble. Cette solution typiquement française, en ce qu’elle ajoute un échelon administratif sans en supprimer un autre, est
confrontée maintenant à de vraies difficultés qui justifient de nouvelles évolutions. Tout d’abord chacun s’accorde à demander qu’à la suite des élections municipales des mesures soient prises
pour achever complètement la carte de l’intercommunalité. Faire entrer dans une communauté une commune jusque là restée en dehors ne devrait pas être trop difficile. En revanche le regroupement
de communautés entre elles ou le redécoupage de certaines autres est très loin d’être acquis tant la tâche parait ardue si elle est laissée à la seule volonté des membres. Mais bien
qu’essentielle cette nécessité ne représente qu’une petite partie des difficultés à résoudre. Marc Censi a ainsi rappelé les nombreux rapports sur l’intercommunalité et plus généralement sur
l’amélioration de l’organisation territoriale du pays. Cour des comptes, Valletoux, Richard, Lambert et maintenant Attali pour ne citer que les plus célèbres. Et puis il a aussi rappelé le grand
chantier de la révision générale des politiques publiques lancé par le gouvernement ainsi que celui de la forteresse Berçy qui à périmètre de recettes égal à ce qu’il est aujourd’hui doit
proposer une refonte complète de la fiscalité, y compris la fiscalité locale. Certaines propositions de ces rapports sont conformes aux attentes de l’ADCF. D’autres en revanche, comme celle de la
commission Jacques Attali, dont le matin même le Figaro disait qu’il préconisait la disparition progressive des départements, ont beaucoup moins de succès auprès du public des élus locaux. Sitôt
passées les élections municipales et l’installation des nouvelles équipes intercommunales nous allons beaucoup entendre parler de toutes ces propositions.
Mais voilà de mon point de vue les difficultés qui sont apparues ne peuvent plus être traitées isolément les unes des autres par quelques nouveaux rapiéçages. Il
devient difficile de rechercher plus d’efficacité et de cohérence entre les différents étages de collectivité ou de leur association, communes, communautés, pays (même s’il semble que personne en
haut lieu n’ait conscience qu’ils existent), départements et régions, simplement en améliorant les règles du jeu et en précisant le rôle et les compétences de chacune d’elles. Il est tout aussi
scabreux d’y réfléchir sans se préoccuper du rôle de l’Etat qui continue de s’impliquer et garde le contrôle sur ce qu’il a décentralisé. La tentation sera pourtant grande de fignoler un peu plus
l’usine à gaz et de ne toucher aucune feuille du mille feuilles. Mais il apparaît presque impossible désormais de procéder ainsi. Veux t-on faire des économies en facilitant la mutualisation des
services entre les communes et leurs groupements et c’est l’Europe que l’on brandit pour signifier les obstacles de la réglementation supranationale acceptée par les états membres, dont le nôtre
bien sûr. Envisage t-on de donner une légitimité démocratique directe au projet communautaire et au prélèvement de l’impôt qui le sert et c’est la consécration d’une nouvelle collectivité supra
communale que l’on veut justement à tout prix à éviter. Evoque t-on de réserver la clause générale de compétences au couple communes communauté en spécialisant le département et la région sur des
compétences limitées que des élus s’élèvent déjà ici où là pour relever l’impossibilité à atteindre la précision suffisante. Le tourisme par exemple c’est aussi de l’économie. Et on ne peut pas
faire de l’économie si on ne maîtrise pas dans le même temps les ressorts de l’attractivité et des services qui doivent accompagner une politique de développement. Etc, etc…
Ce qui me conforte dans la conviction que la réforme sera plus fondamentale que ce qui est sans doute souhaité par nombre d’élus c’est que nous sommes opportunément
stimulés par les vertus de la politique de la caisse vide. C’est ce même jeudi que nous apprenions par exemple l’excédent record de la balance commerciale de l’Allemagne en même temps que notre
propre déficit record. L’euro est le même de l’autre côté du Rhin, le coût du pétrole y est semblable et nos aptitudes au travail sont au moins aussi bonnes que celles de nos voisins. L’écart
entre nous c’est l’efficacité respective de notre organisation collective et les stratégies différentes que nos Etas poursuivent.
Alain Lambert était l’invité d’honneur du bureau qui précédait les vœux du président. Au cours du débat qui a suivi la présentation succincte de son rapport j’ai
relevé son commentaire surprenant sur la norme, l’un des trois thèmes traités dans son rapport à côté de la clarification des compétences et de la simplification des relations financières entre
l’Etat et les collectivités. Il a dit à peu près ça : « la puissance normative de l’Etat est devenue complètement dingue et la machine est folle. On est arrivé à ce que l’on pourrait
appeler un bavardage normatif ». Cette dérive est à corréler à la décentralisation qui a allégé la charge de travail de l’Etat mais qui a quand même gardé ses effectifs à la suite des
transferts. Et contrairement à ce que l’on croit souvent ces personnes sont très compétentes et travaillent dur. Ce qui s’est traduit par la production de normes et de contrôles qui permettent de
reprendre de fait partiellement par la norme les attributions perdues.
En rappelant la genèse de la mission qui lui a été confiée il nous a indiqué qu’il avait clairement dit aux administrations concernées par son travail qu’il n’était
pas dupe du rôle de marionnette que l’on chercherait à lui faire jouer et qu’il avait prévenu que la marionnette à un certain moment quitterait le marionnettiste. Son passage au ministère du
budget a permis nous a-t-il dit qu’il puisse avoir la confiance suffisante pour pouvoir travailler avec les directions générales. Ce que j’ai entendu en creux c’est la toute puissance des
administrations peu disposées à s’en laisser conter par des élus.
A un autre moment du débat il a évoqué l’autre grand sujet de discussion à l’ADCF, c'est-à-dire les ressources financières de l’intercommunalité et le plafonnement
de la taxe professionnelle pour les entreprises qui fixe une limite au prélèvement de la collectivité sans compensation par l’Etat comme c’était le cas par le passé. Il nous a alors exprimé sa
conviction que l’on ne savait plus comment réformer la TP. « On a tellement bricolé l’outil que l’on ne sait plus faire » a-t-il dit. J’ai profité de l’attente dans le hall avant les
vœux, pendant que le président rencontrait la presse, pour demander directement au sénateur Lambert pourquoi le plafonnement de la TP à 3.5% de la valeur ajoutée pour toutes les entreprises (ou
presque) ne s’était pas accompagnée de la suppression de la règle de liaison des taux entre les taxes ménages et la TP. Mon raisonnement depuis deux ans maintenant est le suivant. La commission
Fouquet avait proposé que l’assiette de la TP devienne la valeur ajoutée et semble t-il il y avait une large adhésion à cette idée. Dominique de Villepin a pris très vite la décision de plafonner
la contribution des entreprises à 3.5 % de la valeur ajoutée pour alléger la charge de cet impôt auprès des entreprises industrielles qui portent des immobilisations très lourdes, assiette
principale de cet impôt. Mais en creux on percevait que si les entreprises industrielles ne devaient pas payer plus de 3.5% les entreprises de services avaient vocation elles aussi à contribuer
jusqu’à concurrence de 3.5% de leur valeur ajoutée. Ce qui permettait à terme de glisser vers l’assiette valeur ajoutée souhaitée par un grand nombre de ceux qui ont participé à la réflexion sur
l’évolution de cet impôt. Mais pour aller chercher cette contribution compte tenu du maintien du même système d’assiette il faut pouvoir augmenter le taux de manière substantielle pour les
entreprises de service qui n’ont que très peu d’immobilisations. L’objectif d’équité entre les entreprises devenant leur contribution identique au regard de la valeur ajoutée produite. Mais
concrètement la règle de liaison des taux qui ne permet pas de hausse de la taxe professionnelle sans augmentation simultanée des taxes ménages réduit à néant cette possibilité. La règle de
liaison des taux visait à ce que les élus n’aient pas le réflexe systématique d’aller chercher de la ressource fiscale électoralement moins coûteuse auprès des entreprises. Dans le nouveau cadre
lorsque sur un territoire l’assiette de la TP concernée par le plafonnement devient très importante (au-delà de 60%) il devient presque impossible d’augmenter le produit fiscal en augmentant le
taux d’imposition. La réponse d’Alain Lambert a été la suivante : « la liaison des taux c’est un tabou et il est impossible d’y toucher ». Il m’a dit partager mon raisonnement et
avoir essayé de promouvoir l’idée mais de s’être constamment heurté à un mur. Il m’a donné aussi quelques éléments complémentaires auxquels je n’avais pas réfléchi et qui méritent d’être
soulignés. Une entreprise de service peut-être très mobile et dans ce cadre, penser que l’on peut se comporter avec elle en matière de taxe professionnelle comme avec une entreprise industrielle
est un peu illusoire. La valeur ajoutée peut en effet se délocaliser avec ces entreprises beaucoup plus facilement que pour une entreprise industrielle par nature plus captive. En revanche il a
évoqué qu’à l’intérieur des entreprises de service, la distribution aurait pu être concernée par une contribution plus élevée sur la valeur ajoutée par un taux d’imposition spécifique. Mais là
c’est dit-il dans le préambule de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen que l’on prend argument pour ne pas différencier les contribuables et garantir une égalité de traitement.
Référence qui lui semblait quand même saugrenue en s’interrogeant sur le contexte de 1789 bien différent de celui d’aujourd’hui. Même si la taxe professionnelle est plafonnée à 3.5 % de la
valeur ajoutée, ce que je crois cohérent pour les entreprises afin qu’elles ne soient pas dissuadées d’investir de crainte de devoir payer toujours plus en raison de leurs immobilisations ou de
la main lourde des collectivités, elle demeure pour les entreprises un impôt fondé principalement sur les immobilisations. C’est maintenant à madame Lagarde qu’il revient, dans le cadre du
travail sur l’ensemble de la fiscalité qu’elle a engagé avec ses services, de faire des propositions pour plus de cohérence et de clarté mais aussi de compétitivité avec nos états
concurrents.