Je ne regrette pas de m’être levé tôt ce matin pour tenter malgré les grèves de me rendre aux « carrefours de l’innovation agronomique », un colloque sur
le thème de la protection intégrée en arboriculture et viticulture organisé par l’Inra qui se tenait près de la place de la République à Paris. Pas trop dur finalement pour le transport. TGV de
6h17 un peu en retard et taxi en co-voiturage plutôt que métro. Si « la grève, c’est la plage de ceux qui ont peur de se retrouver sur le sable » comme le dit joliment Philippe
Bouvard, c’est aussi une stimulation très efficace pour innover et imaginer des comportements solidaires pour celles et ceux qui en sont les victimes. Finalement je suis arrivé avec
seulement une heure de retard. J’ai manqué l’introduction à cette journée faite par Marion Guillou, la présidente directrice générale de l’Inra, ce que je regrette, et deux communications très
conceptuelles, si j’en crois ce que m’en ont dit ceux qui étaient déjà présents tout autant que le texte que j’ai parcouru, ce que je regrette beaucoup moins.
J’ai été très agréablement surpris par la qualité et la teneur de toutes les autres interventions de cette journée. Il m’a semblé que face aux objectifs annoncés
après le Grenelle de l’environnement de diminution de 50% des pesticides utilisés par l’agriculture française dans les dix années qui viennent, les intervenants à la tribune pointaient bien avec
pertinence la complexité de l’organisation et des moyens à mettre en œuvre pour y parvenir. En tout cas on percevait très bien que le dispositif actuel ne permet pas d’espérer atteindre ces
objectifs autrement qu’en diminuant la production elle-même de 50%, ce qui n’est pas vraiment le but annoncé par les autorités.
A l’heure du déjeuner le directeur de la station d’Angers, Yves Lespinasse, m’a annoncé que j’étais placé en face du directeur général délégué de l’Inra, Guy Riba.
Son nom m’était familier mais je ne l’avais jamais rencontré. Originaire du sud ouest, du Gers plus exactement, l’homme est haut en couleurs et parle plutôt crument et sans langue de bois. Il est
surtout très compréhensible par le commun des mortels. Après avoir fait un peu connaissance j’ai assez vite été un peu provoquant en indiquant la perception négative que notre profession a
de l’Inra aujourd’hui. A la limite de la caricature j’ai indiqué que les chercheurs sont très préoccupés de publier mais en aucun cas de rechercher l’applicabilité au verger de modes de
production plus intégrés. Au passage j’ai insisté sur l’incohérence, dont la France se fait une spécialité, qui consiste à annoncer vouloir être le phare du monde dans beaucoup de domaines, sur
un mode incantatoire, sans se préoccuper d’avoir la moindre cohérence dans l’organisation de l’administration et des moyens publics pour atteindre cet objectif.
A ma grande surprise j’ai constaté que le diagnostic était tout à fait partagé et que mon interlocuteur développait des analyses très proches de celles que
j’exprime. Ce qui est moins rassurant c’est que si j’en crois les observateurs attentifs de cet institut il y a un décalage assez grand entre le discours du directeur général et la réalité
de la maison à ce jour.
La réalité incontournable est celle-ci. Les progrès attendus par la collectivité passent par ceux qui sont incontournables pour les mettre en oeuvre, c'est à dire
les agriculteurs. La contrainte réglementaire ou la pression fiscale sont des moyens pour faire bouger les pratiques des agriculteurs. Mais si la faisabilité technico économique n’est pas
maîtrisée par l’agriculteur lui-même il disparaît avec ses productions. Je ne crois pas que ce soit l’objectif auquel pense le législateur, même si son obsession première est, conformément au
principe de précaution, de plutôt sauver le ministre en le bordant au fur et à mesure que l’on suspecte un danger pour l’utilisation de tel ou tel produit. Même si cela conduit à une impasse
pour la production dans notre pays. Ce que l’on attend de l’environnement scientifique et technique c’est qu’il propose à l’agriculteur des moyens pour améliorer ses pratiques et
pour respecter les obligations nouvelles. Et c’est là où rien ne va plus, justement au moment où on en a la plus besoin. La fin des avertissements agricoles émis par le service de la
protection des végétaux pour les agriculteurs a été cité par le directeur comme le signe le plus contradictoire de la part de l'Etat au regard de sa volonté d'améliorer la protection
phytosanitaire des plantes dans notre pays. Mais j'ai aussi évoqué l'incompréhension des producteurs de noix victimes de la bactériose dans leurs vergers qui constatent que l'Inra cesse son
travail de création variétale pour cette espèce alors que l'institut dispose sur son exploitation de Toulenne en Gironde de variétés hybrides en observation très prometteuses au
regard de la résistance à cette maladie. Et ce ne sont là que deux exemples des contradictions les plus fortes de la stratégie publique du moment. Nous éspérons que grace au Grenelle qui
révèle plus crument encore ces contradictions et ces disfonctionnements nous pourrons inciter les décideurs à rechercher plus de cohérence ou à assumer les effets dévastateurs de
leurs annonces très séduisantes.