J’ai terminé hier soir la lecture de « Gândhî ou l’éveil des humiliés ». Cette biographie passionnante écrite sous la direction de Jacques Attali par
Rachida Azzouz, Murielle Clairet et Charlotte Duperray est très complète, précise et solidement documentée. Jacques Attali a fait le choix avec son équipe de garder la distanciation nécessaire
vis-à-vis du personnage pour ne rien occulter de sa vie, de ses paroles ou de ses écrits. On sent de bout en bout du livre le souci de livrer au lecteur une information factuelle dépouillée et
sobre. Les pages consacrées aux commentaires et aux appréciations plus personnelles de l’auteur sur Gândhî sont peu nombreuses et j’ai l’impression que sur ce sujet j’en apprends plus par
les interviews qu’il donne en ce moment aux médias que dans les pages du livre lui-même. C’est pourquoi il me semble que c’est bien là principalement l’œuvre des collaboratrices de Jacques Attali
(que j’ai cités au début) plus que la sienne, et c’est très bien comme ça.
J’ai vraiment découvert une première fois Gândhî en lisant Lanza Del Vasto (Le pèlerinage aux sources. Principes et préceptes du retour à l’évidence. Techniques de
la non violence) en 1977, trois ans après être allé une première fois en Inde et peu de temps avant d’y repartir en décembre de cette année là. Mon périple à vélo qui a duré plus de deux mois sur
les routes et les pistes du Rajasthan m’avait alors conduit à faire une incursion à Ahmedabad, la capitale du Gujarat, état de l’Inde ou est né Gândhî en 1869. Je me souviens très bien être allé
visiter le Sabarmati Ashram, fondé en 1917 et qui est devenu un musée consacré à la vie de Gândhî. C’est là que j’ai pris connaissance de quelques éléments de la biographie du Mahatma, vu des
photos ainsi que des objets lui ayant appartenu, rouet, écritoire, bol, lunettes ou sandales. Cette entrée dans l’univers de Gandhi avait sur ce site et dans les conditions de mon voyage
une résonnance toute particulière et les conditions étaient réunies pour que j’aie vraiment envie d’en savoir plus sur cet homme incroyable. J’avais rencontré à la suite à Ahmedabad un
libraire qui m’avait invité à déjeuner chez lui pour que je puisse fouiner dans son stock de livres trop nombreux pour être tous mis dans les rayons du magasin. J’ai encore à côté de moi dans ma
bibliothèque la trentaine de livres en anglais traitant du Tibet, du yoga, du bouddhisme ou autres philosophies de l’Inde que j’avais acheté et que j’avais fait expédier par bateau, sauf un que
j’avais gardé avec moi et que lui j’ai lu. Il s’agissait d’une édition locale destinée aux étudiants de « the story of my life » par Mohandas K Gandhi, publié une première fois en 1925
soit à l’âge de 56 ans. Jacques Attali a sans doute raison de dire que dans cette autobiographie il romance les évènements à son avantage pour leur donner plus de portée symbolique. Il faudrait
sans doute que je la relise à la lumière de l’imposant travail de l’entreprise Attali, mais je me souviens que ma première lecture sur place m’avait fortement marquée. Ensuite j’ai encore lu ses
lettres à l’ashram (Albin Michel) et bien entendu « Cette nuit la liberté » de Dominique Lapierre et Larry Collins. J’ai vu aussi plusieurs fois le très beau film de Richard
Attenborough avec Ben Kingsley dans le rôle de Gandhi. Mais l’intérêt de la lecture de la biographie pilotée par Attali, c’est qu’elle révèle toute la complexité du personnage, souvent bien
difficile à comprendre et à admettre. Très grande dureté avec sa propre famille, relation aux jeunes femmes et à la sexualité très perturbante, combat très centré sur l’Inde et ses
ressortissants, correspondance surréaliste avec Mussolini et Hitler, comparaison inacceptable de l’Empire britannique avec le nazisme, les sujets sont nombreux qui laissent incrédule le lecteur
quant aux paroles et aux actes de Gandhi. Il est pourtant essentiel de connaître tous ces éléments pour percevoir encore plus précisément la distance qui nous sépare de lui. La précision de cette
biographie accentue pourtant au final la démonstration de l’influence considérable de Gandhi sur le cours de l’histoire et le comportement des hommes, par l’exemple de sa vie quotidienne et de sa
relation aux autres et au monde. Sa non violence démontre combien, à lui seul, un individu conscient de sa liberté peut changer le monde.