Marc Censi et ses équipes ont choisi cette année Paris pour réunir la 18ème convention de l’assemblée des communautés de France, et plus précisément
la maison de la chimie. Elle est quasiment attenante à l’assemblée nationale, situation idéale s’il en est pour tenter d’assurer une présence conséquente de ministres et de hauts fonctionnaires
et savoir ainsi en ce début de législature ce qui est dans les tuyaux de la réforme pour l’intercommunalité. En tout cas dès la première matinée Philippe Josse le directeur du budget et Edward
Jossa le directeur général des collectivités locales (DGCL) étaient bien là pour traiter du thème intitulé : « les nouvelles frontières de l’intercommunalité : quels changements
institutionnels, quelles modalités de financement ? Fixer les jalons de la nouvelle législature».
Au regard de la qualité de l’assemblée réunie dans l’amphithéâtre il m’a semblé que les interventions de ces deux très haut fonctionnaires étaient assez peu
structurées et pas très convaincantes. Ils ne sont pas les décideurs mais quand même on peut supposer qu’ils doivent avoir une analyse technique un peu fouillée de la situation actuelle et des
pistes de réformes qui pourraient être suivies. Le livre blanc de l’ADCF intitulé « pour un agenda 2015 de l’intercommunalité » leur avait été communiqué c’est vrai très peu de
temps auparavant, mais ce document reprenait quand même beaucoup d’éléments déjà évoqués l’an passé à Deauville. Pour Edward Jossa il faut maintenant achever la carte intercommunale et que les
derniers villages gaulois rejoignent un groupement. Les pistes évoquées sont entre autres un jeu de bonus malus sur la DGF et une période de pouvoirs renforcés pour les préfets. Pour ce qui
concerne la dimension critique que les communautés doivent atteindre pour qu’elles soient enfin source d’économies d’échelle il a été évoqué la nécessité de simplifier les règles en vigueur pour
permettre plus facilement des fusions. Finalement la préoccupation première de l’Etat m’a semblé évidente quand le directeur du budget a pris la parole. Alors que juste avant lui des élus de
l’ADCF s’étaient exprimés pour revendiquer des moyens pour que l’intercommunalité assume ses missions et puisse répondre à la demande sociale, Philippe Josse a clairement indiqué qu’il se plaçait
dans une autre perspective qui est celle de la maîtrise de la dépense. Après avoir très justement rappelé que la demande sociale est par principe infinie il a tenu à souligner que la dépense
publique en France en pourcentage du PIB était la plus importante d’Europe et que même les pays scandinaves, longtemps devant nous, maîtrisaient bien mieux que nous maintenant leurs dépenses. Vu
de la direction du budget les collectivités locales ont une part de responsabilité dans l’endettement du pays, dans le haut niveau de prélèvements obligatoires et envers notre dépense publique
record en Europe. L’intercommunalité est soupçonnée d’être responsable d’une dérive dans l’augmentation des emplois publics, puisque à côté des nouveaux emplois communautaires les municipalités
ont continué de faire progresser leurs propres effectifs.
La réponse des élus locaux en retour ne s’est pas faite pas attendre. Ils dénoncent les nouvelles obligations qui incombent aux communes et à leurs groupements,
imposées par un législateur qui ne veut pas assumer les conséquences de ses choix et qui laisse entendre que cette dérive de l’emploi dans les collectivités est seulement liée à la mauvaise
utilisation des regroupements intercommunaux et à l’absence des économies d’échelle qu’ils sont pourtant censés permettre. Ambiance.
De mon point de vue il y a certainement une responsabilité des collectivités dans les lourdeurs et les redondances locales, mais l’artisan principal de ce que nous
constatons incombe bien au législateur, auteur d’un système générateur de complexité inutile et d’inefficacité.
Il semble aujourd’hui communément admis que l’émiettement communal français est un obstacle à une action locale fortement décentralisée. Le choix français en réponse
consiste à proposer à un nombre suffisant de communes de coopérer entre elles. C’est ainsi que se sont crées des Etablissements Publics de Coopération Intercommunale, autrement appelés pour ce
qui nous concerne communautés de communes. Les regroupements commencés en 1992 ont plutôt été un succès puisque la majeure partie du territoire est maintenant couvert. Mais 15 ans après la
loi on peut regretter que le cadre n’ait pas été suffisamment exigeant dès le départ. On aurait ainsi pu éviter de devoir aujourd’hui agir pour que toutes les communes de France appartiennent
enfin à un regroupement et surtout que les communautés de petite taille n’aient maintenant à fusionner avec d’autres, ce qui est techniquement et politiquement très complexe. Mais comment peut-on
imaginer et accepter que trois ans après la loi de 1992 on ait jugé utile de proposer la création de pays avec pour objectif d’en faire des espaces de réflexion et de contractualisation avec les
autres niveaux de collectivités sans aucune maîtrise d’ouvrage à la clé. Il fallait réussir d’abord l’étape précédente et tout miser sur le regroupement intercommunal de bonne dimension, y
inciter fortement par une contractualisation directe de ces EPCI dotées d’un projet avec les autres collectivités. Le pays aujourd’hui agit encore comme un frein à l’achèvement de la carte
intercommunale et à la fusion des communautés entre elles. Le pays contribue aussi à susciter, ce qui n’est pas le moindre des paradoxes, la résistance à la coopération intercommunale. Et pour
couronner le tout c’est un étage administratif de plus qui non seulement coûte en tant que tel mais génère aussi des coûts supplémentaires dans les communautés membres, et bien sûr ce n’est pas
la qualité du travail des agents qui est en cause. J’attends le jour où on aura enfin le courage de faire auditer cette organisation kafkaïenne par le Boston consulting group ou tout autre
« cost killer » du marché pour enfin regarder en face le coût financier, mais aussi le coût carbone, de ce machin administratif et politique. On ne dira jamais assez à quel point on est
loin du développement durable quand on manque d’efficacité dans notre organisation collective et que l’on doit assommer les contribuables pour qu’ils paient trop cher ce qui pourrait être réalisé
à bien moindre coût.
Lors de la convention chacun a parlé de la clarification des compétences pour éviter que tous les étages aient la possibilité d’intervenir sur tout. Cela va dans le
bon sens mais ce sera après les municipales a précisé le directeur des collectivités locales. Imaginez quand même que les financements croisés deviennent extrêmement limités et ne concernent
jamais plus de deux niveaux de collectivités à la fois. A la base les communes et leur groupement de taille suffisante pour contractualiser directement avec le couple département région fusionné
ou avec bien avec l’Etat selon la compétence concernée. Cette limitation des fonds de concours, donc des reversements de fiscalité entre collectivité s’accompagnerait par une plus grande
autonomie fiscale de chaque étage de collectivité. A coût égal pour le contribuable les moyens pour l’action seraient plus importants parce qu’il se perdrait moins d’énergie et d’argent dans les
tuyaux. La péréquation entre territoires riches et pauvres, bien théorique à ce jour, relèverait toujours de l’Etat par le moyen de sa dotation globale de fonctionnement. Chacun deviendrait ainsi
plus autonome et plus responsable des choix politiques qu’il engage. On pourrait alors parler de décentralisation effective et efficace.
Sur le thème de la gouvernance intercommunale il y a également beaucoup à dire et de nombreuses remarques très intéressantes ont été dites lors de la convention. La
règle actuelle, selon Marc Censi, fait du président d’une communauté un animateur de la coopération des communes entre elles et il évoque au passage un pack intercommunal en mêlée ouverte. C’est
bien de cela qu’il s’agit. Quelle que soit la volonté du président, le travail intercommunal dépend du bon vouloir des communes. Et pourtant on constate le plus souvent une propension des
communes et de leur maire à bien distinguer l’action de la communauté de celle de leur commune. Alors que communes et communauté forment un tout, à quelques notables exceptions près, les maires
se positionnent parfois en critiques ou censeurs de l’action intercommunale. Même quand l’action communautaire se déploie sur le territoire de la commune, on constate encore dans cerains cas
que le maire, loin de soutenir spontanément le travail en cours et de coopérer pour optimiser les résultats, se comporte en critique distant jaloux de ses prérogatives. Il est d’ailleurs
symptomatique de constater assez souvent une absence complète de référence à l’action intercommunale sur la commune dans le journal municipal, même quand les réalisations y sont très
conséquentes. L’exécutif communautaire est avant tout perçu comme un rival sur le territoire de la commune et comme un opposant à la commune quand l’action se déploie sur d’autres communes que la
sienne. C’est le mode d’organisation de la coopération intercommunale qui détermine logiquement cette conséquence politique, qui ne peut-être surmontée que par des élus capables de partager leur
pouvoir pour servir leurs intérêts communaux dans un cadre intercommunal et qui savent surpasser leurs réflexes spontanés. C’est souvent plus ou moins le cas quand même, mais il existe quelques
cas extrêmes d’incapacité au travail collectif, rares quand même, très déroutants tant ils sont inexplicables, qui peuvent nuire sensiblement à l’exercice de la coopération. Comment dès lors
envisager l’avenir de l’intercommunalité si elle doit demeurer dans sa forme actuelle? Comment aller vers plus de solidarité et de participation au travail intercommunal ? Comme seul
l’électeur peut décider de la personnalité de celui qui aura la charge de conduire les affaires de la commune il faut que les règles de fonctionnement elles même conduisent à favoriser l’envie de
coopérer avec les autres communes. La possibilité d’apporter plus librement des fonds de concours aux communes pour leur projet, si elle peut donner une souplesse appréciable dans certains cas,
peut en revanche renforcer le réflexe anti communautaire. C’est pourquoi il ne doit être versé que si la communauté est pleinement associée de bout en bout au projet ou au service soutenu. Dans
le cas contraire il sera sage de la part du conseil communautaire de ne pas apporter de fonds de concours à ce qui ne serait que l’expression de la volonté d’une seule commune aussi pertinente
qu’elle soit. La communauté n’est pas faite pour ça et elle ne peut pas progresser en fonctionnant ainsi. Le législateur serait bien inspiré de réfléchir à ces menus détails qui sont pourtant
déterminants pour l’avenir de l’intercommunalité. Une autre proposition a été faite par Philippe Valletoux de Dexia, auteur d’un rapport sur la fiscalité locale et présent à la convention
mercredi. Elle consiste à remplacer la fiscalité mixte, c'est-à-dire la TPU (taxe professionnelle unique) à laquelle vient s’ajouter la fiscalité ménage, par une contribution des communes au
budget intercommunal sur la base de l’assiette d’imposition des ménages. En clair lorsqu’une communauté considère qu’elle n’a plus les moyens avec les recettes de la taxe professionnelle de
couvrir les dépenses qu’elle souhaite engager, plutôt que de créer ses propres taxes ménages, ce que la plupart des communautés en TPU envisagent de faire maintenant selon le sondage effectué en
direct à la maison de la chimie, ce sont les communes qui assumeront collectivement leur choix de doter la communauté de recettes supplémentaires et d’en tirer les conséquences si nécessaire sur
leurs propres taux dans la commune. Ceci permet d’éviter que la hausse de la fiscalité soit perçue comme distincte de la volonté de la commune. La commune est ainsi tenue à la plus grande
solidarité possible avec la communauté où elle doit assumer avec les autres communes les décisions prises. Cela suffira t’il ? Ce n’est pas sûr. Mais en cas d’échec il y a tout lieu de
penser, comme cela est quelquefois évoqué pour inciter à avancer résolument, que c’est l’espace communautaire qui l’emportera sur les communes, comme dans de nombreux autres pays en Europe et
dans le monde.