4 Janvier 2017
Il faut réduire la dépense publique en France ; il faut diminuer le montant de la dette ; il faut agir au plus vite et au plus fort. Telle est la formule, à répéter à l’envi comme le Delenda Carthago de Caton l’ancien. Il en va de l’avenir du pays ! Cette urgence n’est pas commandée par une quelconque obsession d’un équilibre théorique, ni par une soumission à des règles absconses. Les beaux esprits, pour de multiples raisons, ont toujours su dédouaner les responsables politiques des obligations d’équilibre budgétaire. En France, on ne réduit pas le train de vie de l’État quand la crise survient, on ne le réduit pas non plus quand la reprise commence, cette dernière pourrait s’en trouver fragilisée, on ne le réduit toujours pas quand la croissance est forte, ce n’est plus la peine, syndrome de la cigale. Aujourd’hui, avec plus de 56 % du PIB de dépenses publiques, avec un taux de prélèvement obligatoire de près de 46 %, la France est non seulement la championne du monde dans ces catégories, elle est surtout engoncée dans une gangue l’empêchant d’évoluer. Le poids de la dépense publique française et sa conséquence directe sur la pression fiscale sont d’abord les facteurs d’immobilisme et de reproduction à l’identique des mécanismes anciens. Les grandes révolutions ne sont jamais menées par les États, encore moins par leurs lourdes administrations, par définition tournées vers l’existant, ou pire, vers le passé. En ce début 2017, la France est confrontée à cette impasse, précisément à l’heure où il conviendrait de s’engager résolument dans des changements profonds.
En effet, la période actuelle est celle d’un bouleversement sans précédent. L’accélération des conséquences du réchauffement climatique tout autant que celle de l’explosion démographique planétaire obligent à inventer au plus vite un autre modèle de développement, un autre modèle social, d’autres références politiques. Le mouvement a commencé, il ne cesse de s’accélérer. Nourri d’un progrès scientifique de plus en plus foudroyant, il modifie les modes de production et de fonctionnement de toutes les strates économiques. Mais ce n’est rien auprès des phénomènes qui se profilent, angoissant sans doute une large part des populations développées et expliquant les mouvements de protectionnisme ou de populisme constatés dans les dernières élections.
Pour que le progrès triomphe, ce sont des investissements massifs auxquels il faudra consentir ; l’épargne disponible doit être engagée tout entière dans cet effort extraordinaire, à l’image du seul précédent qui lui soit comparable, celui de la révolution industrielle du XIXe siècle et du début du XXe. Si la France, si l’Europe disposent toujours des capacités scientifiques de créer l’innovation, il convient de les transformer en vastes mouvements opérationnels. Dans l’expression « start-up », les Européens excellent pour le « start » et déplorent que le « up » se fasse ailleurs, faute de capitaux disponibles.
Or le problème ne cesse de croître. Les défis à venir se modifient sans cesse. Google, Facebook ou Uber constatent l’obsolescence des logiques qui les ont fondés ; ils mutent du tout au tout et cherchent à retrouver l’agilité des petites structures. L’expression de la nouvelle vague technologique qui s’annonce déjà est celle issue des technologies dites « blockchain », à la fois décentralisée et autonome. Ces deux qualificatifs disent combien l’effort est d’abord celui de l’échelon du terrain, de l’énergie des individus, qu’il conviendrait de libérer au plus vite. Ce n’est pas dans l’investissement public que se trouve la clef, il est trop obsédé par le risque et par l’échec. C’est l’investissement privé qui doit être privilégié.
De ce point de vue, le retard pris par la France dans le redressement de ses comptes pourrait s’avérer dramatique.
Alors que la zone euro dans son ensemble affiche une moyenne de déficit de 1,7 % pour 2016, 1,4 % pour 2017, alors que les efforts réalisés sur le Vieux Continent ouvrent partout la capacité d’une relance par l’investissement, les Français eux risquent de basculer dans une situation vraiment dangereuse : non seulement le déficit en 2017 pourrait ne pas revenir sous la barre des 3 %, ce qui serait un désastre en soi, mais de surcroît celui de 2018 inquiète encore plus, conséquence des entourloupes comptables repoussant notamment à l’année suivante le coût du CICE (pour 5 milliards d’euros !). La campagne électorale part sur de bien mauvaises bases. La plupart des candidats s’affranchissent par avance des règles européennes, à la recherche de l’illusion d’une prospérité par l’arrosage public.
Autant de légèreté laisse pantois. Notre taux de chômage à près de 10 % est plus élevé que celui de la zone euro, notre taux de croissance, famélique, est inférieur à la moyenne de nos partenaires, notre commerce extérieur est archidéficitaire quand l’Europe affiche presque le double de l’excédent du leader allemand ; et notre dette que l’on parvient qu’au prix d’astuces diverses à maintenir à grand-peine sous la barre fatidique des 100 % du PIB (98,4 % au lieu des 96,2 annoncés) est une bombe à retardement : d’abord parce que l’effet anesthésiant des taux négatifs (une pure aberration) ne durera pas éternellement ; le réveil sera terrible quand soudain la charge d’intérêt se remettra à grimper. Mais par-dessus tout, cette dette abyssale doublée d’une incapacité à la réalisation des réformes structurelles indispensables à nos systèmes économique et social ouvre la pire des perspectives : celle d’un déclassement définitif par rapport à l’Allemagne.
Il ne s’agit plus de respect de règlements ou de ratios ; nous parlons bien d’un écart tel qu’il en deviendrait irrémédiable. La France décrochée de l’Allemagne, ce serait le risque d’une explosion d’une Europe affaiblie, ce serait la dégringolade de notre pays, ce serait le début d’une crise gravissime. Les banquiers centraux le reconnaissent : ils ont pu juguler les subprimes ; ils ont pu surmonter le désordre des dettes souveraines ; ils ne parviendraient pas à contrer l’explosion financière du couple franco-allemand.
Cette menace-là est un vrai risque systémique pour la planète entière.
PHILIPPE DESSERTINE
Publié ce jour dans le Figaro
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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