11 Septembre 2010
C’est bien connu « on ne prête qu’aux riches » et « il pleut toujours où c’est mouillé ». Alors quoi de plus normal que d’attribuer spontanément ces temps-ci au président de la République tout ce qui peut être ressenti comme un peu trop sécuritaire et un brin xénophobe dans notre bel hexagone. J’imagine facilement le plaisir que l’on doit ressentir quand on est journaliste et que l’on apprend qu’un évènement est survenu tout près de chez soi qui semble coller si pile poil à l’idée que l’on se fait de la politique honnie du méchant homme. Le risque, c’est qu’aveuglé par sa propre colère on ne se fasse l’écho d’un amalgame aussi douteux que faux. Et ça donne par exemple une étonnante page 3 de la Charente Libre, ce vendredi 10 septembre, où un contrôle diligenté pour traquer le travail dissimulé devient abusivement l’illustration de la dérive fascisante supposée du président de la République (cliquez ici pour lire l’article que dès lundi je vous proposerai en scan Pdf collector).
Philippe Suire, tabaculteur à Salles-de-Villefagnan, a fait l’objet d’un contrôle diligenté par Cyrille Vidalie, vice procureur de la République, dans le cadre de la lutte contre le travail dissimulé. Si l’on en croit l’article, ça lui a fait tout drôle et à ses salariés aussi. On peut le comprendre. Voir débouler dans l’atelier une vingtaine de képis accompagnés de l’inspectrice du travail, avec juste ce qu’il faut de brutalité et de méthodes indélicates, provoque forcément un choc. Si l’on en croit l’article, ces braves fonctionnaires, portraiturés en dignes descendants de la police de Vichy, se sont livrés d’office à un tri quasi ethnique suivi d’un contrôle d’identité agrémenté d’allusions plus que douteuses. Pour le chef d’entreprise, cité joyeusement et in extenso dans l’article, bien que de droite, il ne fait pas de doute que cette quasi rafle qui le traumatise, c’est du Sarkozy tout craché. Une aubaine pour le journaliste. Un patron de droite témoigne pour dire qu’il est lui-même révolté par la traque quasi inhumaine des sans papiers dans notre pays.
Nul ne doute qu’à la lecture de ce reportage et des témoignages qu’il comporte, tous les démocrates de ce pays, épris de liberté, attachés aux valeurs humanistes, qui ne pratiquent la dénonciation calomnieuse que vis-à-vis de ceux qu’ils jugent être des méchants absolus, soient définitivement résolus à barrer la route d’un second mandat à l’Elysée pour son hôte actuel. Un article utile en somme.
Le problème c’est que ces contrôles ahurissants n’ont évidemment pas été inventés par Nicolas Sarkozy. J’ai eu le premier témoignage d’une intervention démesurée de ce type par Henri P, arboriculteur à la périphérie nord de Paris. Si mes souvenirs sont bons, c’était avant 2002, sous Lionel Jospin. Il avait l’habitude de cueillir ses pommes et ses poires avec des étudiants africains, quasi bac plus cinq, parfaitement en règle et tous déclarés, qui présentaient l’inconvénient sans doute d’être facilement repérables dans le paysage. La suspicion avait du tarauder un voisin bien intentionné, une rumeur s’en était suivie et cet arboriculteur a eu un matin la surprise de voir un hélicoptère stationner à la verticale de son verger déjà bien encerclé par les gendarmes. Le scénario qui a suivi était déjà le même que celui expérimenté par Philippe Suire et ses salariés. D’autres contrôles en verger avec recours à l’hélicoptère m’ont été rapportés depuis. Surtout dans le Sud Ouest. Plus récemment, il y a trois ans il me semble, un collègue arboriculteur du côté de Saintes a du lui aussi subir un contrôle tout aussi spectaculaire que musclé, en présence du Préfet, de l'inspecteur du travail, de la MSA et d’une ribambelle de gendarmes. Son verger est modeste, les quelques saisonniers qu’il embauche sont issus des alentours immédiats et il y a belle lurette qu’il déclare tout son monde sans exception. Je me souviens que l’expérience de cet encerclement de son verger l’avait assez traumatisé, tout comme son personnel d’ailleurs.
Comme il est bien précisé en marge de l’article principal de la Charente Libre, cette procédure est tout ce qu’il y a de plus légal. Mais j’ajouterai que sa mise en œuvre est plutôt inspirée de la vision que l’on a du patron chez les condisciples de Gérard Filoche que de celle du Président de la République.
Passe encore que pour être juridiquement efficace il faille en passer par la mise en œuvre de tout ce dispositif de guerre, mais comment peut-on imaginer qu’il n’y ait pas au préalable à une intervention ciblée une enquête rapide et discrète pour s’assurer qu’il y a bien sur le site repéré un patron bien fautif et du bon grain à moudre?
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Ça me fait penser à l’histoire de ce type qui cherche ses clefs sous un réverbère à qui on demande si c’est bien là qu’il les a perdues et qui répond qu’il n’en sait rien, mais que là au moins il y a de la lumière. C’est la même chose pour ces contrôles, ils semblent être diligentés là où le terrain est adapté et l’employeur bien identifié et connu. Une sorte de répétition générale sans risques pour ne pas perdre la main et rendre des comptes.
Paradoxalement, ce n’est pas le moindre mérite du Président de la République que de faire sans cesse bouger les lignes. Dans ce cas précis il réussit par sa communication un peu brusque à faire soutenir dans CL, par réaction désordonnée à ce qu'il inspire chez certains, un patron employeur de main d’œuvre contre la brutalité des contrôles de l’inspection du travail à leur égard. L'interprétation d'un même évènement peut ainsi aboutir à des conclusions bien différentes selon la personnalité et l'angle de vue de celui qui s'y adonne. Etonnant non? Allez camarades encore un effort.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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