23 Mars 2013
Mis à jour le 22/03/2013 à 19:33 | publié dans Le Figaro le 22/03/2013 à 19:17
TRIBUNE - L'auteur, Georges Kiejman, avocat à la Cour et ancien ministre délégué à la Justice, pointe les faiblesses des charges qui ont conduit à la mise en examen de Nicolas Sarkozy.
Ce qu'on nomme «l'affaire Bettencourt» a jusqu'ici alimenté tous les fantasmes et provoqué tous les excès, comme si chacun puisait dans l'éclat médiatique de celle-ci une bonne raison d'accroître sa propre notoriété.
Moi-même, pendant les dix-huit mois pendant lesquels j'ai été le principal avocat de Liliane Bettencourt, il m'est arrivé de participer à ces excès de langage. Du moins, me suis-je efforcé de porter un regard lucide sur tous les aspects juridiques, moraux et psychologiques de ce qui était essentiellement, et aurait dû rester, un conflit personnel entre une mère et sa fille.
Depuis maintenant deux ans que je n'ai plus aucun contact avec Liliane Bettencourt, à laquelle me liait une amitié imprévue mais sincère, je suis persuadé que, le voudrais-je, on ne me laisserait plus la voir.
Cela étant, ma connaissance de ce qu'il faut appeler le «dossier» et mes lointaines fonctions de ministre de la Justice, brièvement chargé de la réforme du Code de procédure pénale, me font un devoir de dire ce que je pense de la surprenante «mise en examen» de M. Nicolas Sarkozy. Je précise, en tant que de besoin, que je ne l'ai pas rencontré une seule fois au cours de sa présidence ni depuis.
Tout d'abord, priorité au texte: l'article 80-1 du Code de procédure pénale dit ceci:
«À peine de nullité, le collège de l'instruction ne peut mettre en examen que les personnes à l'encontre desquelles il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont il est saisi.»
Et plus loin:
«Le collège de l'instruction ne peut procéder à la mise en examen de la personne que s'il estime ne pas pouvoir recourir à la procédure de témoin assisté.»
Ce texte est clair dans sa lettre comme dans son esprit et a pour objet de mieux garantir la présomption d'innocence. La mise en examen, qui remplace l'ancienne inculpation, doit être exceptionnelle et se justifier tant par l'existence d'indices graves et concordants que par l'impossibilité pour le juge, qui doit s'en expliquer, de recourir au statut de témoin assisté.
Compte tenu du secret de l'instruction, nous ignorons comment, selon le magistrat instructeur, la mise en examen de M. Sarkozy lui permettra de faire ce qu'il n'aurait pu faire autrement. Mais eu égard à ma connaissance du dossier, je me crois en mesure de répondre à la question: le juge disposait-il d'indices suffisamment graves ou concordants pour prendre une mesure d'une gravité exceptionnelle puisque, d'une part, elle détruit la présomption d'innocence et, d'autre part, elle a un effet de déflagration politique en atteignant une personne qui, quoi qu'on dise, n'est pas un citoyen «comme les autres»?
Soulignons d'abord que M. Sarkozy a été mis en examen pour «abus de faiblesse» et non pour financement illicite de sa campagne électorale, un délit probablement prescrit.
Pour qu'il y ait «abus de faiblesse», il faut qu'il y ait une faiblesse de la victime et un abus de la part de celui qui en a profité.
Les faits remontent aux premiers mois de 2007.
Sur quoi se fonde le juge pour décider que Mme Bettencourt était alors en état de faiblesse?
- Sur une expertise à laquelle il a fait procéder au débotté en surprenant Madame Bettencourt alors âgée de 87 ans, un matin de 2011, quatre ans après les faits;
- sur les affirmations de Mme Françoise Meyers, fille de Mme Bettencourt
- sur les témoignages de quelques employés de maison.
Est-ce là des indices graves et concordants, c'est-à-dire des charges ayant une crédibilité suffisante pour que le juge ait estimé être contraint à une mise en examen?
1. - L'expertise hypothétique établie en 2011 et permettant de croire à l'état de faiblesse de Mme Bettencourt en février 2007, voire dès 2006, se heurte à un avis formel du Pr Agid, l'un des plus grands neurologues français, rendu le 23 janvier 2008, quelques mois après les faits concernés: «En conclusion, l'examen n'a pas permis de mettre en évidence un trouble de mémoire sur les faits récents ou anciens, des difficultés de stratégie intellectuelle ou du langage, tant sur le versant réceptif que moteur. En dehors de la surdité (appareillée), il n'y avait pas de trouble perceptif avec une réactivité gestuelle, verbale excellente. Dans la difficulté qui est la sienne actuellement, compte tenu du contexte familial et social, et du deuil récent, l'état psychique paraît conservé et son engagement dans ses projets déterminé.»
2. - Les affirmations de Mme Françoise Meyers sont contredites par le protocole du 6 décembre 2010 qu'elle a conclu avec sa mère, à l'insu du principal avocat de celle-ci, protocole aux termes duquel Mme Liliane Bettencourt abandonne à sa fille, déjà bénéficiaire de la nue-propriété de tous ses biens, 20 % de ses revenus, assure une rente à son gendre et lui confie la direction de ses affaires, ce à quoi elle s'était toujours opposée.
Cerise sur le gâteau, Mme Bettencourt paie 12 millions d'euros d'honoraires aux avocats de sa fille.
Certes ce protocole est insensé, surtout si on le rapproche d'une lettre du 13 septembre 2011, entièrement écrite de la main de Mme Liliane Bettencourt: «Ma fille poursuit ses agressions sans relâche à mon encontre et cherche à me mettre sous tutelle. Je ne peux l'accepter et je vous demande de tout mettre en œuvre pour l'empêcher en usant des moyens et de l'aide que vous jugerez utiles. Je comprends que ma fille veut me faire quitter le conseil d'administration de L'Oréal, cela n'arrivera jamais. Je vous remercie d'agir avec force et de me tenir au courant.»
Mais ou bien ou bien? Ou cette lettre confirme que, quelques mois plus tard, Mme Bettencourt était parfaitement en état de conclure le protocole par lequel elle transmet à sa fille et à son gendre tout ce qu'elle leur avait jusqu'ici refusé, ou Mme Bettencourt est depuis 2007 dans un état de prostration et, alors, comment expliquer que le magistrat instructeur ait jamais considéré le protocole de 2010, voire le paiement des 12 millions d'honoraires, comme possible abus de faiblesse?
3. - Les témoignages des employés sont-ils crédibles? Il faut rappeler que, contrairement à ce qu'elle soutient, l'ancienne comptable de Mme Bettencourt s'est souvent contredite. Il faut rappeler que Mme Meyers lui avait garanti par contrat 800.000 euros au cas où elle serait licenciée en raison du concours qu'elle lui apportait. Il faut rappeler que le maître d'hôtel entendu est celui qui a mis en place le fameux enregistrement clandestin. À la requête de qui? Enfin, il faut rappeler que la plupart des employés entendus à charge avaient préparé leurs dépositions au cabinet d'un des deux avocats de Mme Meyers. À ce jour, on attend toujours des mises en examen pour «subornation de témoins».
Dès lors, comment considérer comme des charges suffisantes ce sur quoi s'est fondé le magistrat instructeur? Surtout, et encore une fois, qu'est-ce que la mise en examen de M. Sarkozy lui permettra de faire qu'il n'aurait pu faire sans le mettre en examen?
Enfin, sur la vraisemblance de tout cela. Qu'on me permette d'apporter quelques réflexions tirées de ma modeste fréquentation des milieux du pouvoir. Qui peut croire que le financement occulte d'une campagne présidentielle (certes possible) se fait par remise d'une enveloppe au candidat, entre la poire et le fromage, en ajoutant probablement: «Tenez mon brave, cela pourra vous aider»? Qui peut croire qu'André Bettencourt vivant, ancien ministre et cacique de son parti, c'est sa femme, prostrée et prétendue gâteuse, qui se serait chargée de ce financement occulte et non lui?
Il y a trop d'invraisemblances et de doutes pour qu'en raison des textes de loi auxquels j'ai concouru et des faits que j'ai connus je puisse me dérober, indépendamment de toute sympathie pour M. Sarkozy.
Cette mise en examen restera comme un mauvais coup porté à la justice et peu m'importe que son auteur ait voulu ou non rejoindre au panthéon quelques gloires judiciaires que leur narcissisme a rendu illustres.
Pour terminer, une note personnelle. Je n'ai pas vu Liliane Bettencourt depuis deux ans. Il est possible qu'en l'isolant de ceux qu'elle aimait on l'ait placée dans l'état de faiblesse où on la déclarait plongée alors qu'elle ne l'était pas.
Il y a peu de chances pour qu'on mette cet article sous ses yeux. Je voudrais qu'elle sache que je pense à elle souvent et que je l'embrasse.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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