24 Février 2013
J’ai hésité entre deux titres aujourd’hui. L’autre, c’était : « Pensées pour moi-même ». C’est vous dire si mon pessimisme sur le cours des choses le dispute ce matin à mon peu de conviction qu’il soit possible de participer même modestement à une inversion de tendance en écrivant sur ce blog.
J’ai pourtant eu la satisfaction cette semaine d’obtenir une résonnance appréciable pour mon dernier article. L’analyse et le parti pris de la nécessité de la transformation en autoroute concédée du corridor de fret qui traverse la Charente en provenance du Sud, du Nord et de l’Est ont capté l’attention de Sud Ouest. Le projet a même gagné une voie (2 fois 3 voies) dès la première page du journal. Pourquoi pas. Elle ne sera pas de trop. Mais vous le savez mes très chers lecteurs, la révélation de mon « rêve » n’a pas vraiment suscité de manifestations de foules en liesse s’exclamant favorables à un tel projet. Je n’ai pas entendu non plus les responsables politiques locaux s’enthousiasmer en lâchant des « bon dieu mais c’est bien sûr ! ». Pas plus que les administrations concernées n’ont du être troublées que l’on révèle avec quelle minutie elles se sont employées depuis tant d’années à gommer la réalité du trafic européen en Charente. Tout ça sans doute, parce que comme le disait très bien Edgar Faure, « l’immobilisme est en marche et rien ne pourra l’arrêter ».
Je crois que je suis encore, comme bien d’autres, dans le même état d’esprit que Dagny Taggart dans le roman d’Ayn Rand, « La grève », dont je vous ai déjà parlé. J’en suis à la page 667, le livre en compte 1165, et cette patronne du rail continue son combat isolé dans un monde qui s’écroule sous l’empilement continu des mesures égalitaristes et partageuses portées par ceux qui, forcément majoritaires, n’ont évidemment que l’apparence de la bienveillance. Là où j’en suis du roman, la plupart des autres résistants à l’étouffement systémique ont déjà choisi de faire grève.
Bien avant d’en avoir terminé la lecture, je ne peux que vous inciter à vous précipiter sur le premier site en ligne venu pour acquérir ce fabuleux ouvrage qui explique bien mieux que de savants essais pourquoi notre monde s’écroule encore une fois.
Cette longue mais utile introduction étant faite, ce que je souhaite aujourd’hui soumettre à votre sagacité, mes chers lecteurs, à trait à ce fameux budget européen qui est scandaleusement à la baisse, comme chacun sait.
J’ai participé jeudi soir à une soirée organisée par le Rotary Club de Barbezieux au profit de la Croix Rouge et de la banque alimentaire. A cette occasion j’ai pu mieux comprendre le fonctionnement de cette association en Charente grâce à la présentation qui nous en a été faite par sa présidente, Jeannine Thibaud. J’ai aussi pu échanger un peu avec elle sur les quelques 20% à 25% du total des produits distribués reçus une fois par an dans le cadre du programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD).
Le travail de la présidente et de toute son équipe de salariés et de bénévoles est admirable et force le respect. Pour ce qui concerne notre propre entreprise, dès lors que nous avons des pommes qui ne peuvent être vendues sur le marché, alors qu’elles n’ont que des défauts d’aspect, plutôt que de destiner à la transformation les plus beaux lots, nous les offrons à la banque alimentaire qui en assure la ramasse. Rien de l’analyse qui va suivre ne constitue donc la moindre critique de l’action de la banque alimentaire. Le sujet est autre.
La présidente charentaise a indiqué à l’assemblée son inquiétude légitime de voir remise en cause la livraison de l’aide alimentaire européenne. Et vous le savez, à la quasi unanimité, les politiques et les médias ont dénoncé cette même réduction honteuse du budget européen consacré au PEAD.
Associer la notion d’aide alimentaire aux plus démunis avec un choix politique de réduction budgétaire a forcément les apparences du scandale. Mais vous le savez très bien mes chers lecteurs, les apparences sont souvent trompeuses. Si scandale il y a, est-il vraiment là…ou faut-il le chercher ailleurs ? That is the only question, happy tax payers.
Selon Wikipédia, dont la lecture est bien plus informative que la presse quotidienne sur le sujet, le programme européen d’aide aux plus démunis est né en 1987, à la demande de Jacques Delors et de Coluche. Plutôt que de détruire les excédents alimentaires rachetés par l’Europe, il avait été fait le choix d’en distribuer une partie pour secourir les plus nécessiteux.
Bien que cela ne soit pas si ancien, on se demande aujourd’hui comment il a été possible d’inventer une régulation des marchés qui passe par l’administration européenne. Dès lors que la récolte de pommes en Europe, par exemple, apparaissait être supérieure aux besoins estimés du marché, il était proposé aux producteurs de retirer la partie qui manifestement pesait sur les cours. Ces surplus pouvaient alors être, soit détruits, soit être donnés pour l’alimentation animale, soit être offerts à des œuvres caritatives. Tout cela se passait sous l’œil myope d’un inspecteur de la répression des fraudes avant que le contrôle ne soit confié plus tard aux douaniers fraichement libérés des frontières et eux par moment carrément aveugles.
Inutile de rappeler que cette politique d’intervention européenne n’a eu pour effet que de stimuler des excédents permanents plutôt bien rémunérés. Ceci grâce aux tricheries que cette logique administrative a immédiatement suscitées. Cette fabuleuse planche à billets des mauvais producteurs a heureusement fini par être progressivement supprimée.
Au fur et à mesure où les surplus européens à distribuer disparaissaient, l’Europe complétait son aide alimentaire en accordant du budget aux Etats pour qu’ils achètent sur les marchés les produits nécessaires. Tout cela perdurait dans le cadre de la politique agricole commune. D’une politique de gestion des excédents agricoles, l’Europe était passée à un versement de dotations pour l’aide alimentaire à certains Etats européens. Comme cette aide sociale ne relève pas des compétences déléguées par les Etats à l’Union, à la demande de l’Allemagne et de quelques autres, la cour de justice a décrété qu’il devait y être mis fin. C’est en cours.
Pour qui connait un peu la mécanique européenne, il y a tout lieu de se réjouir de la fin de cette usine à gaz absurde. Pensez quand même que l’argent de votre impôt collecté par l’Etat français alimente le budget européen pour qu’une partie revienne sous forme de colis de nourriture à la banque alimentaire près de chez vous. Chacun sait que dans ce cadre, le prix de revient des produits distribués augmente très sensiblement. Et puis, ce n’est pas parce que ces dotations sont allouées sur le budget européen que l’équité est assurée entre les nécessiteux des 27 pays. Ce critère là n’est pas vraiment de mise, compte tenu de la liaison principale avec la politique agricole commune.
Une équipe de fonctionnaires de France Agrimer à Montreuil monte donc chaque année à la fois son dossier de demande de soutien à Bruxelles en même temps que l’appel d’offre pour acheter les produits alimentaires auprès des industriels. Chaque banque alimentaire élabore de son côté son dossier administratif à soumettre à France Agrimer. Conformément aux exigences européennes, les associations se sont dotées d’un outil informatique de comptabilité et de traçabilité spécifique pour satisfaire les contrôles diligentés après coup par Bruxelles. Attention à ce qu’il ne manque pas une signature ou un coup de tampon sur l’affectation du paquet de nouilles numéroté.
La mystification insupportable à laquelle nous assistons depuis un certain temps déjà de la part de nombre d’élus européens, c’est de faire croire au grand public que la fin de ce système vaut remise en cause de l’aide alimentaire redevenue nationale. L’Europe n’a pour l’instant que l’argent qui lui remonte des Etats et c’est heureux. Si l’aide n’est plus prise sur le budget européen, c’est autant de budget en moins qui sera versé par les Etats à l’UE, et autant qu’il pourront consacrer à verser directement par eux-mêmes pour l’aide alimentaire. En cette matière, la proximité à tout son sens, et il n’y a que des avantages à cette évolution. Un peu de simplification administrative ne peut qu’être bénéfique pour les citoyens européens.
Je ne suis pas naïf bien sûr. Je sais bien que cet exemple illustre parfaitement la basse politique selon laquelle l’élu pense ne pouvoir exister que si les vies de ses électeurs dépendent principalement de lui. Peu importe qu’en réalité ils ne soient malgré eux que d’imbéciles affameurs du peuple si on leur associe virtuellement l’image de la dépense généreuse pour le plus grand nombre.
Les députés européens, quasi unanimes, se sont élevés contre le projet de légère réduction du budget européen par les chefs d’Etat. Mais comme pour l’aide alimentaire, vous n’avez rien entendu sur la pertinence et l’efficacité de l’argent dépensé. Le dogme universel, c'est que l'aide fait du bien et qu'elle ne coûte presque rien à personne. Une sorte de bonté divine. Le seul argument rabâché en boucle et quelque soit le bord politique de son auteur, c’est qu’avec moins de budget l’Europe ne pourra pas être à la hauteur de la relance attendue et nécessaire. Que le projet européen ne pourra qu’être affaibli. A aucun moment il n’y a eu la moindre remise en cause de la qualité de la dépense publique européenne. Alors que l’absurdité du système de l’aide alimentaire n’est rien comparativement à d’autres grands chapitres budgétaires de l’UE.
Bien que les contribuables ploient déjà sous la charge des prélèvements de toute nature, nombre d’élus européens n’ont à proposer que de les augmenter encore pour pouvoir enfin vraiment mieux nous aider à nous en sortir. Et la même logique est très gravement en œuvre sur le territoire national.
Avoir pour seule stratégie de faire avancer le peuple pris pour un âne en maniant un peu le bâton des contrôles et en lui tendant sans cesse d’inatteignables carottes ne peut que le précipiter un peu plus vite vers la catastrophe. A ce rythme, elles seront bientôt cuites les carottes, non ?
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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