13 Novembre 2006
Il y a des semaines comme ça ou tous les problèmes que l’on n’a pas su résoudre refont surface en même temps. Et puis comme si cela ne suffisait pas d’autres viennent s’ajouter à la liste déjà longue. On ploie sous l’accumulation sans réussir à prendre le recul nécessaire à l’analyse sereine qui permet de trouver l’issue.
Dans ce contexte je n’étais pas très disponible ces derniers jours pour bien apprécier les déclarations des candidats à la présidentielle et le grand nombre de papiers très pertinents consacrés par les journaux aux deux grandes questions de notre temps que sont la mondialisation et l’environnement. J’ai pris le temps aujourd’hui de relire ce qui faisait le plus écho à mes préoccupations.
« La tyrannie du roi coton » par exemple par Joseph E Stiglitz prix Nobel d’économie 2001 dans les Echos du lundi 6 novembre. Cette analyse des dégâts du protectionnisme des américains qui exigent pourtant l’acceptation du libre échange pour les autres est à lire. Les subventions agricoles qui maintiennent les prix de marché à des niveaux exceptionnellement bas nuisent au développement des productions des pays en voie de développement. C’est vrai aussi de notre PAC pour les céréales. Voilà une production dont les coûts de main d’œuvre sont très faibles dans le prix de revient final et dont les résultats agronomiques sont essentiellement liés au climat et aux sols où que l’on soit dans le monde. Rien ne justifie à priori que cette production soit subventionnée. Mais bien entendu pour qu’un pays cesse d’intervenir il faut que tous les autres cessent aussi en même temps. Je suis frappé de constater que les productions de fruits et de légumes dont le prix de revient est souvent constitué pour moitié par de la main d’œuvre ne bénéficient d’aucune subvention en Europe alors que des productions totalement mécanisées demeurent fortement soutenues sans que personne ne s’en étonne. Imaginez que brutalement les céréales ne reçoivent plus aucune subvention dans aucun pays du monde, quelles distorsions de concurrence pourrait-il bien y avoir. Presqu’aucune. La seule raison d’être des aides c’est d’abaisser artificiellement le prix de revient des productions pour les exporter là ou les Etats n’ont pas les moyens d’apporter des soutiens équivalents et donc de bénéficier d’une part de marché supérieure à ce qu’elle serait sans ce dumping. Voilà pourtant une aide aux pays du Sud qui ne coûterait absolument rien si l’on renonçait à ce système devenu scandaleux.
A lire aussi le long débat entre Nicolas Sarkozy et cinq interlocuteurs (chefs d’entreprise, délégué syndical, universitaires) toujours dans les échos mais le 9 novembre. Il me semble qu’il exprime bien qu’il n’y a pas de contradiction à être à la fois pour l’économie de marché et le libéralisme et dans le même temps protecteur et régulateur pour tenir compte des stratégies des autres. Au-delà des paradoxes qui perturbent et qui conduisent certains, peu souples intellectuellement, à dire qu’il y a de l’incohérence dans son discours, il me semble au contraire que de nombreux exemples qu’il cite prouvent la nécessité pragmatique qu’il y a pour l’Etat à agir et à intervenir.
Sur le thème de l’environnement j’ai apprécié l’énervement d’Eric Le Boucher dans le Monde daté d’aujourd’hui qui s’intitule « arrêtez la salade verte ». Il me semble en effet utile de clarifier la grille d’analyse des moyens à mettre en œuvre pour modifier notre impact sur l’environnement et la pérennité de la planète. Il préfère le rapport de 700 pages de l’économiste anglais Nick Stern sur l’évaluation des conséquences du changement climatique plutôt que l’approche politicarde et émotionnelle qui domine en France. Les vraies solutions sont à l’échelle du monde. Pour autant chacun de nous est légitime à modifier son comportement quotidien même si cela n’a aucun impact à l’échelle de la planète. Il faut lire aussi sur le blog d’Alain Juppé son dernier article : « militants de la terre. Lettre à mes petits enfants ». Son année passée au Québec confère à ses analyses un intérêt tout particulier.
Le CTIFL (Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et Légumes) organisait jeudi à Lanxade près de Bergerac une rencontre toute entière consacrée à la pomme et aux enjeux de compétitivité pour cette production en France. L’analyse de l’évolution depuis
L’exemple nous vient une nouvelle fois des Etats-Unis qui ont à faire face à des difficultés au moins aussi graves que les nôtres. Jim Mac Ferson qui appartient au Washington Tree Fruit Research Commission, à l’invitation du CTIFL, est venu nous présenter « the road map technology » dont l’objectif est de réduire fortement les coûts de production. Ce qui a frappé l’auditoire c’est la capacité de nos collègues américains de faire une analyse stratégique très lucide, de regarder en face les menaces et les opportunités, d’élaborer un projet et de mettre toutes leurs organisations en synergie pour atteindre l’objectif. Le postulat de la démarche est le suivant : si l’on se contente de gratter ici ou là pour diminuer quelques coûts le gain final sera faible. Pour obtenir une réelle amélioration de la compétitivité il faut repenser la globalité de la production et modifier en profondeur la façon de produire et le recours à la mécanisation. Pour cela il faut faire travailler ensemble toutes les disciplines de recherche concernées, les producteurs et les techniciens. Lors de mon dernier voyage dans l’Etat de Washington je me souviens avoir tenté d’expliquer à un chercheur du Washington State University comment s’articule en France la recherche, l’expérimentation et le développement des techniques en arboriculture. « C’est vrai qu’en France c’est compliqué » m’avait t’il répondu plus informé que je ne le pensais de notre multitude d’organisations indépendantes et souvent concurrentes plus préoccupées d’elles même que de la réussite de l’industrie qu’elles sont sensées servir. Et pourtant nous n’avons pas à rougir du talent et de la capacité d’innovation individuelle en France comparativement au reste du monde. C’est dans l’inaptitude à la réforme de nos organisations collectives que nous sommes me semble t’il les moins performants.
Mais pour être tout à fait juste il faut reconnaître que les producteurs réunis au sein de sections régionales et d’une section nationale ne montrent pas l’exemple de la recherche de l’efficacité. J’entends en boucle un discours incantatoire de nos leaders qui consiste à rabâcher à l’intention des arboriculteurs et des pouvoirs publics que si l’on continue de réduire nos surfaces nous allons avoir encore plus de difficultés. Depuis des années aucun travail stratégique digne de ce nom n’a été entrepris pour définir un plan d’action cohérent pour unir nos forces et travailler à créer les conditions de la réussite de cette filière. Pour tenter de faire prendre conscience à mes collègues que nous sommes les premiers responsables de l’inefficacité que nous dénonçons souvent chez les autres je faisais remarquer au président que la perte de près du tiers du verger de pommiers sous son règne ce n’était pas un très bon bilan quand même et que nous y étions sans doute pour quelque chose.
Les élections américaines ont donné lieu à de nombreux articles sur les Etats-Unis. J’ai lu avec un grand intérêt dans les Echos du 8 novembre celui intitulé « le made in USA fait de la résistance ». Contrairement aux idées reçues malgré la mondialisation la production industrielle est toujours en progrès même si son poids dans l’économie baisse ainsi que les effectifs qui y travaillent. L’explication est la suivante : « il ne faut pas être obsédé par le salaire horaire. Ce qui compte c’est le coût unitaire du travail » insiste Suzanne Berger, professeur au MIT (Massachussets Institute of Technology) et spécialiste de l’impact de la globalisation sur les entreprises. « Ce n’est pas parce que les salaires sont moins élevés que l’on produit forcément moins cher » explique t’elle. Elle insiste sur la nécessité de ne pas négliger l’expérience, la productivité et l’environnement global. Les infrastructures de transport, le cadre légal, la formation, la stabilité politique, tout cela compte.
Finalement je vois mal comment on pourrait expliquer à tous ceux qui nous ont précédés que nous vivons une période particulièrement difficile de notre histoire et qu’il y aurait décidemment plus de menaces que d’opportunités pour les temps qui viennent.
« Je vous ai fait une longue lettre parce que je n’ai pas eu le temps d’en faire une courte » disait Madame de Sévigné, je crois. C’est aussi mon cas pour ce texte.
Quand je mets une photo je suscite 10 commentaires et avec un texte de longueur moyenne pas du tout ou très peu. Avec celui là ce sera sans doute le silence complet, non !
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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