Institution vénérable, la Cour des comptes que préside Philippe Seguin vient de commettre un nouveau rapport qui comme les précédents, passé la brève émotion qu’il
suscitera, sera rangé sur une belle étagère d’époque dans le bel immeuble de la rue Cambon où il prendra cette tout aussi vénérable poussière à laquelle nous sommes tous
promis.
Ce rapport de 111 pages consacré aux « aides des collectivités territoriales au développement économique » démontre méthodiquement l’inefficacité des aides
directes aux entreprises attribuées par les collectivités. Il confirme, ce que nous devinons depuis longtemps déjà, que l’impact des interventions directes est inversement proportionnel au nombre
des dispositifs en vigueur à tous les étages des collectivités. Mais ce que l’on sait moins et que le rapport met utilement en évidence c’est que le coût de gestion doit être évalué à 25% du coût
de revient des sommes distribuées, soit deux milliards sur huit. François Mitterrand qui recevait un jour un visiteur à l’Elysée, alors qu’il apposait méthodiquement sa signature sur un texte de
loi instituant un nouvel impôt et sur un autre pour reverser un peu de la manne collectée, releva la tête pour faire avec humour cette remarque devenue célèbre : « je prélève, je
distribue, j’exerce le pouvoir ». Refusant de n’être que des spectateurs, les élus ont très souvent la tentation d’intervenir par procuration dans les choix économiques en utilisant l’aide
directe pour essayer d’infléchir les comportements des acteurs et le marché, tout en revendiquant un peu de la paternité des réussites quand elles existent. Il n’y a pourtant aucune corrélation
directe obligatoire entre la qualité d’élu et la compétence nécessaire à la conduite d’un projet d’entreprise. Mais c’est tellement plus drôle de prélever de l’impôt, faire croire que l’on fait
du développement économique quand on reverse l’argent prélevé et se voir reconnaître du pouvoir, du volontarisme et de la générosité par des chefs d’entreprise et la population toute entière,
plutôt que de s’embêter à améliorer l’organisation interne des collectivités et des administrations dont on a la charge pour les rendre plus efficaces et contribuer ainsi vraiment très utilement
à la performance du pays et au pouvoir d’achat des citoyens. C’est tellement fatigant, long, difficile, peu lisible à court terme pour l’électeur, qu’il vaut mieux rechercher ailleurs la
popularité politique. Il faut sans doute nuancer et distinguer dans l’ensemble des aides directes celles qui sont destinées à la création d’activités nouvelles. Non pas que ce que je viens de
dire au sujet de la compétence de l’élu soit moins pertinente dans ces cas de figure, mais il peut y avoir un intérêt collectif à miser presque au hasard sur les créations, parce que ce sont
celles que le monde économique, tout au moins les banques, savent le moins accompagner. Encore aujourd’hui les autres leviers du type « business angels » sont encore insuffisamment
développés pour rendre complètement inutiles toute aide directe publique. C’est une loterie à laquelle une société peut utilement jouer, à condition de faire simple.
A l’heure ou dette, croissance, chômage, emploi, pouvoir d’achat, pauvreté semblent des difficultés inextricables à résoudre pour le pays, je m’étonne toujours du
peu d’intérêt rencontré pour les solutions qui marchent. Les deux milliards d’euros mobilisés pour rémunérer des individus brillants à de la collecte redistribution d’impôt ajoutés aux six
milliards d’aide directe, qui au lieu de dynamiser l’économie dans son ensemble en freine souvent l’adaptation à la mondialisation, seraient sans doute plus utiles s’ils étaient affectés à
l’allégement de la dette ou à la résorption des déficits. Mais le plus important serait sans doute que les ressources humaines mobilisées pour des rôles de shadocks soient restituées à l’économie
du pays pour participer à la création de plus de PNB. Sans énergie supplémentaire on augmente la quantité de biens et de services produits pour le même prix de revient. C’est d’abord comme ça
qu’on améliore le pouvoir d’achat.
Cette semaine le président a une nouvelle fois corrélé l’augmentation du pouvoir d’achat à la nécessité de travailler plus. C’est bien entendu la solution de court
terme la plus efficace déjà mise en œuvre par tous ceux qui décident de façon autonome de leur temps de travail, artisans, commerçants, agriculteurs, professions libérales, entrepreneurs de tous
ordres, salariés à qui l’on propose des heures supplémentaires ou politiques, y compris ceux qui ont fait la promotion de la réduction du temps de travail pour les autres. Mais il me semble que
c’est aussi par de nouveaux gains de productivité que notre pays améliorera le pouvoir d’achat des français. Et notre organisation collective recèle des marges d’amélioration d’efficacité
considérables pour permettre ces gains de productivité collectifs. Ce chantier il est de la responsabilité des élus du pays. Ce n’est pas dans l’intervention directe dans les entreprises que nous
les attendons mais bien sur ce chantier qui les passionne si peu, l’adaptation législative, réglementaire, institutionnelle et administrative du pays.
Le lendemain de l’intervention du président à la télévision cette semaine j’étais comme souvent surpris des commentaires qu’elle a suscité. Rien de concret, rien
d’immédiat, pouvait-on lire ou entendre, et il nous ressort encore les 35 heures. Les mêmes commentateurs qui dénoncent d’habitude allégrement la dictature du profit à court terme dans les
entreprises et le capitalisme mondial oublient le long terme dès lors qu’il s’agit d’interpeller les politiques sur leur action. S’il y a pourtant un domaine ou les stratégies conduites sont
déterminantes sur le long terme c’est bien lorsqu’il s’agit de la conduite des affaires du pays. La France toute entière s’est mobilisée pendant de longs mois pour réduire le temps de travail des
salariés de 39 heures à 35 heures à salaire mensuel constant et tenter de gommer partiellement le surcoût dans les entreprises par des allégements de charges permis par un prélèvement
supplémentaire sur le PNB et l’aggravation de l’endettement. Une énergie folle consommée par tous doublée d’une nouvelle usine à gaz réglementaire et de nombreux effets pervers pour faire cadeau
à tous nos concurrents dans une économie mondialisée de 15 % de productivité et plomber à la suite le pouvoir d'achat des français. Pour parfaire la catastrophe notre taux de chômage a bien moins
baissé que chez tous nos concurrents alors que c’était la motivation première. Malgré le génie des français on ne se remet pas d’un séisme de cette ampleur à court terme. Je ne suis pas plus
emballé maintenant par la complexité du dispositif qui se met en place pour défiscaliser et augmenter la rémunération des heures supplémentaires en ne les soumettant plus à retenues salariales.
Il présente évidemment l’intérêt d’améliorer les revenus des salariés dont le temps de travail était resté à 39 heures de 3.1 %, ce qui n’est pas négligeable. J’ai pu constater que c’était
apprécié. Pour une rémunération au smic horaire, travailler 39 heures par semaine, c'est-à-dire 11% de plus que les 35 heures, permet de percevoir un salaire net de 20% de plus que le smic
mensuel à 35 heures.
Je reconnais aisément qu’il était autrement passionnant en son temps de développer une argumentation enthousiaste pour démontrer que la quadrature du cercle de la
réduction du temps de travail pour baisser le chomage tout en maintenant les salaires pouvait être résolue plutôt que d’accorder le moindre crédit au calcul que je viens de faire ou à ce
raisonnement somme toute assez vulgaire par lequel on énonce que travailler plus permettrait de gagner plus. Mais ce n'est pas la seule solution, surtout à long terme et je répète encore que la
réorganisation en profondeur de l’Etat, des collectivités et des administrations recèle des gains d’efficacité très importants qui doivent se traduire en gains de productivité pour le pays. A
temps de travail et énergie dépensée équivalente, les français peuvent améliorer sensiblement leur vie quotidienne. Pour cela il faut conduire patiemment des politiques libérales de long terme,
vertueuses mais impopulaires tant elles sont difficiles à comprendre quand on ne s'intéresse qu'au court terme.