Je serai mardi à la caisse centrale de mutualité sociale agricole à Paris pour faire le point sur les modalités d’application de l’arrêté du 12 septembre 2006
relatif à l’utilisation des produits phytosanitaires, mercredi en réunion avec les membres de la commission technique des producteurs de pomme au cours de laquelle les principaux sujets qui
seront évoqués seront tous relatifs aux produits phytosanitaires et jeudi et vendredi à Reims pour participer à un colloque organisé par le MEDAD (ministère de l’environnement, du développement
et de l’aménagement durable) qui s’intitule : « Pesticides & Environnement – De la connaissance aux outils et à l’action ».
Depuis l’élaboration il y a plus de dix ans maintenant de la charte nationale de production fruitière intégrée des producteurs de pommes (http://www.chartepfi.com) nous recherchons sans cesse à promouvoir les solutions
alternatives aux produits phytosanitaires pour la production des pommes et à tout le moins leur utilisation la plus maîtrisée possible. Les résultats les plus sensibles concernent le recours aux
insecticides et aux acaricides. Pour ces derniers de nombreux vergers n’y ont presque plus recours depuis que des populations d’acariens prédateurs y sont présentes en quantité suffisante pour
contrôler le développement des acariens rouges (panonychus ulmi). Pour obtenir ces résultats il a fallu instituer une surveillance permanente des populations par des comptages l’hiver et durant
toute la période végétative. Le moteur de la réussite est pour partie lié à l’envie de l’arboriculteur de comprendre et de maîtriser les équilibres écologiques du verger mais surtout à
l’amélioration des résultats économiques liée à la réduction du coût des intrants. En matière d’insecticides le principal progrès concerne la lutte contre le ver des pommes (le carpocapse) pour
laquelle la confusion sexuelle a pu être utilisée. Il s’agit de disposer dans tout le verger des diffuseurs de phéromones qui doivent agir depuis l’éclosion des premiers œufs au printemps jusqu’à
l’arrêt d’activité du papillon en fin d’été. Bien sûr comme la technique demeure aléatoire, des comptages hebdomadaires tout au long de l’année sur 1000 fruits à l’hectare doivent être
scrupuleusement effectués pour s’assurer que tout se passe bien et intervenir avec un insecticide en cas de problème. Plus on descend dans le sud et plus cette technique doit être combinée avec
des insecticides biologiques (carpovirusine) ou chimiques pour assurer la maîtrise des populations dont les générations sont plus nombreuses et plus prolifiques. En revanche pour ce qui concerne
les pucerons cendrés, au moment de la floraison, il n’y a pas d’autres choix à ce jour que d’appliquer un aphicide efficace, ce qui devient de plus en plus difficile à trouver au fur et à mesure
ou les matières actives disparaissent une à une du marché sans être remplacées, compte tenu des conditions imposées aux firmes pour l’homologation de nouvelles matières actives. Cette limitation
de l’utilisation des insecticides et des acaricides est une belle réussite mais jamais définitive. Des parasites considérés comme plus mineurs se développent et amputent les récoltes, c’est le
cas de tordeuses comme capua ou de cicadelles comme metcalfa pruinosa. Et puis cette année pour nous rappeler que la nature peut toujours nous surprendre un peu partout en Europe la bactérie
erwinia amylovora responsable de ce l’on appelle le feu bactérien a fait des ravages en Allemagne, en Suisse, en France dans le Sud est et jusqu’en Lot et Garonne à Meilhan ou des parcelles ont
dues être arrachées. A côté de ces réels progrès le principal handicap pour les producteurs de pomme reste la sensibilité à la tavelure (venturia inaequalis). Cette saloperie de champignon a un
développement complètement modélisé et sans surprise. Température et durée d’humectation à la suite de la pluie contaminatrice provoquent inévitablement le développement du champignon. Plus la
température est élevée et moins il est nécessaire que le végétal reste humide longtemps pour que le champignon se développe et inversement. Un monsieur Mills a établi la courbe qui porte son nom
et qui permet très précisément à l’arboriculteur de savoir ce qui va apparaître dans son verger s’il ne dépose par un peu de fongicide sur le végétal pour que l’eau de pluie soit toxique pour le
champignon. La tavelure menace le verger du débourrement fin mars jusqu’à juin, à la fin de la projection des ascospores. En cours d’été ce sont les maladies de conservation d’origine
cryptogamique qu’il faut ensuite contrôler. Pour ces pourritures, moisissures et autres champignons qui mangent la pomme et la rendent impropre à la consommation (la réglementation en interdit la
vente) il existe une prophylaxie qui va se développer à grande échelle mais qui ne permettra pas pour autant de cesser la protection fongicide. Il s’agit du balayage et du broyage des feuilles
avant l’hiver. Cette technique qui doit être très soignée diminue très sensiblement l’inoculum qui sera projeté au printemps. Le problème c’est qu’à moins de disposer d’un laboratoire performant
il est impossible d’être sûr du résultat obtenu et donc de ne pas traiter. Et puis comme toujours la nature renouvelle ses initiatives et cette année à la récolte une partie assez importante des
fruits de certaines variétés étaient atteinte de black rot, une pourriture assez crade. Pour s’affranchir un peu plus des fongicides en production de pommes il faudra obligatoirement modifier
complètement l’assortiment variétal du verger français. Gala, golden, granny, entre autres devront sans doute disparaître. J’espère que mes excellents collègues du Limousin qui produisent souvent
une golden de rêve ne liront pas cette prophétie inquiétante…
Pour ce qui concerne les désherbants ils sont utilisés pour garder le terrain nu au pied des arbres, soit environ un quart de la surface, le reste de l’allée demeure
enherbée. On peut raisonnablement imaginer que des techniques alternatives pourront s’avérer techniquement et économiquement performantes d’ici peu.
La protection du verger dont je viens de décrire les grandes lignes est la même en agriculture biologique, qui nous est présentée aujourd’hui dogmatiquement comme
l’horizon indépassable pour l’environnement et la santé.
Il faut pourtant savoir que pour obtenir une production vendable (réglementairement) en production biologique de pommes, le nombre de traitement est supérieur à
celui encore constaté en production intégrée. Les fongicides utilisés comme le soufre et le cuivre qui ont une efficacité plus faible contre la tavelure doivent être pulvérisés plus fréquemment.
Sur le long terme l’effet stérilisant du cuivre sur les sols, pourtant très naturel, est connu et c’est pourquoi une dose maximale est fixée pour l’agriculture biologique. Pour ce qui concerne
les insecticides naturels (souvent très dangereux pour l’homme et pas toujours homologués en France et donc illégalement utilisés) ils ont une efficacité souvent faible et nécessitent des
interventions plus nombreuses. En fait à ce jour la pomme est un fruit dont la production nécessite tout au long de la période végétative une surveillance et une protection extrêmement
sophistiquée. Pour autant les voies de progrès existent pour moins recourir aux produits phytosanitaires. Elles passent obligatoirement par l’utilisation de variétés plus tolérantes aux
différents ravageurs que j’ai décrits, des produits biologiques à mettre au point, et sans doute aussi par des rendements moindres et un coût de revient plus élevé.
J’ai eu envie d’évoquer tout cela en lisant dans le monde de samedi à la page « environnement science », un article qui indique que les conclusions du
Grenelle de l’environnement nécessitent que la communauté scientifique se mobilise pour traiter les questions de recherche posées par les objectifs fixés. En voici un extrait :
Mobiliser la communauté scientifique: ce n’est qu’ainsi, selon Bernard Delay, directeur du département
Environnement et développement durable du CNRS, que le Grenelle de l’environnement pourra tenir ses promesses. « Il faut maintenant
lancer un grand plan de recherche, dit-il. Pour avancer, nous devons faire sauter des verrous, parfois technologiques et parfois fondamentaux. Dans tous les domaines, nous butons sur des
problèmes de connaissance. » Exemple : la décision de réduire de moitié l’usage des pesticides. Cet objectif suppose de les remplacer par des agents biologiques. Or, observe Bernard Delay,
« la lutte biologique s’inscrit dans le fonctionnement extrêmement complexe des écosystèmes, sur lequel on sait encore très peu de choses ».
Non sans blagues ! Voyons la suite :
Marion Guillou, présidente-directrice générale de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA), qui a elle-même participé aux
travaux du Grenelle, « espère » également que les moyens suivront les annonces gouvernementales. Son établissement a pris les devants, en engageant des programmes de recherche sur les «
productions intégrées », prenant en compte aussi bien la génétique (sélection des variétés végétales et des espèces animales) que les modes de culture, la lutte contre les parasites (par des
moyens non chimiques) et l’économie de l’exploitation. Ses recommandations ont ainsi permis de diviser par deux le nombre de traitements (engrais et pesticides) pour les productions fruitières de
pêches et de pommes, à rendement et qualité égaux.
Ah bon et où ça ? En Afrique, en Europe de l’est ? Dans un bout de jardin bien caché du public appelé laboratoire de recherche ? Parce qu’en France
les apports de l’Inra à la production fruitière intégrée sont totalement inconnus de la production. J’ai eu l’occasion de le dire à Dominique Bussereau quand il était ministre de l’agriculture, à
Robert Habib à l’INRA de Montfavet près d’Avignon ou à Angers il y a quelques jours lors d’une réunion consacrée justement à la réduction des produits phytosanitaires, la recherche ne nous aide
vraiment pas et l’organisation française depuis l’administration en passant par la recherche et jusqu’au verger devient totalement contreproductive et inopérante. Avant de parler de budget il y a
d’autres questions à se poser.
Lors d’une réunion qui s’est tenue à Avignon nous avions appris que l’Inra demeurait en deuxième position de la recherche agronomique mondiale au titre de la
bilbiométrie, c'est-à-dire à la longueur des publications effectuées par les chercheurs. Est-ce l’unité de mesure la plus pertinente ? Je n’en suis vraiment pas sûr. En tout cas ce que j’ai
pu constater c’est que notre institut de recherche a bel et bien perdu le contact avec la production et évolue dans des sphères éthérées coupées des réalités de la vie. Si l’on devait faire
confiance à la plupart des chercheurs de l’institut qui sont à l’œuvre aujourd’hui, on réduirait peut-être l’utilisation des pesticides mais il n’y aurait plus de production du tout à l’arrivée.
Sous prétexte de recherche fondamentale indépendante de l’économie et du marché il me semble que l’on a surtout induit à partir de premiers de la classe des régressions infantiles qui
mériteraient une étude fouillée sur les déterminants organisationnels, sociologiques et politiques qui les ont provoquées. Les tout derniers spécimens des chercheurs efficaces et renommés,
totalement impliqués au milieu des professionnels, dont les noms sont connus de tous de par le monde et à qui l’on doit les avancées majeures de notre métier, sont sur le départ et la suite
qui se prépare ne peut qu’inquiéter.
Il reste un espoir, c’est justement les suites du Grenelle. Enfin une obligation de résultat qui va devoir conduire à repenser en profondeur l’organisation de la
recherche et du développement dans notre pays. C’est pourquoi j’ai accepté de participer à un groupe de travail appelé Ecophyt, piloté par l’INRA, à qui le ministère a très logiquement demandé de
trouver des solutions concrètes à proposer à l’arboriculture pour qu’elle soit en mesure de réduire l’utilisation des produits phytosanitaires. Depuis le temps que nous demandons le soutien de la
recherche c’était l’opportunité à ne pas manquer. C’est peut-être dans ce cadre que nous pourrons aussi faire avancer notre projet de verger école qui devrait servir de modèle auprès des
arboriculteurs en leur montrant à l’échelle d’un verger soumis aux contraintes économiques du marché ce que l’on peut faire de mieux en utilisant les moyens techniques et les savoir-faire du
moment. Intéressant de se confronter à toutes les données du problème, l’environnement, l’économie, le producteur, le client, les réglementations et j’en passe.
Sur le même thème le supplément du monde consacre un article passionnant à Lester Brown qui va publier bientôt : « le plan B. Pour un pacte écologique
mondial ». Son ambition est immense, pragmatique et solidement argumentée mais il y a quand même un bug qu’il évoque ainsi : « je veux seulement sauver le monde. Le problème,
c’est que le monde ne le veut pas. C’est la seule vraie faille de mon plan ».
Peut-être faut-il prendre le temps de lire le livre que vient de publier le très prolifique Jacques Attali (qui me surprend chaque jour à la tête de sa commission
révolutionnaire) et qu’il consacre à Gândhî. (Gândhî ou l’éveil des humiliés). J’ai un peu hésité vu l’épaisseur et le personnage sur qui j’ai déjà beaucoup lu, mais il semble que ce travail
enrichit vraiment les connaissances sur la Mahatma et qu’il mérite d’être lu attentivement.