10 Octobre 2010
Jeudi 30 septembre, j’ai rencontré à leur demande Jean Chambras et Luc Marteau qui souhaitaient me faire part des inquiétudes que leur inspire le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, proposé par Eric Besson. Ils étaient accompagnés de Bernadette, Togolaise, qui vient d’obtenir après un an de démarches le statut de demandeur d’asile. Je sais pour bien connaître Jean, qui a été mon professeur de français au lycée de Barbezieux, la sincérité de son engagement auprès des étrangers qui, bien qu’ils se trouvent en situation irrégulière sur notre territoire, sont dans de telles galères, de telles détresses, qu’ils justifient cette solidarité et cette aide.
Toute la difficulté du sujet réside justement dans cette confrontation permanente entre le souhait de chacun de nous d’être attentifs aux souffrances de tous ceux que l’attrait d’une vie espérée meilleure dans notre pays conduisent à en forcer l’entrée et la nécessité de faire respecter le droit que nous nous sommes démocratiquement donné pour maîtriser les flux migratoires. L’entrée où la présence irrégulière sur notre territoire est sanctionnée par la loi.
Celle qui est en discussion au parlement vise à augmenter les moyens administratifs, juridiques et réglementaires pour lutter plus efficacement contre l’immigration clandestine.
Mes interlocuteurs considèrent qu’avec cette loi, l’arbitraire progresse et que les droits des étrangers régressent. Ce serait même selon eux l’Etat de droit qui serait menacé par cette loi.
Je manque d’autorité en la matière pour argumenter avec pertinence sur ces questions essentielles. Je vous propose donc deux documents pour suppléer à mes carences. Le premier a été publié dans le Monde daté du 8 octobre. Il s’agit de la retranscription d’un débat animé par Eric Fottorino et Luc Bronner entre Alain Bauer, Jean François Copé, Dominique Noguères, Dominique Rousseau et Manuel Valls sur le thème : « L’Etat de droit est-il menacé ? ». Le deuxième est signé du président du groupe parlementaire UMP Jean François Copé à l’adresse des responsables du mouvement. J’assume évidemment pleinement mon soutien aux arguments développés par Jean François Copé, aussi bien dans le débat que dans la lettre interne par laquelle il nous informe de la position du groupe.
Au cours de notre discussion, j’ai évoqué la probabilité d’une corrélation entre le durcissement des moyens d’action contre les étrangers en situation irrégulière et des considérations économiques. J’ai bien senti que l’argument économique dans ce débat sensible ajoutait à l’horreur ressentie de l’ambiance sécuritaire du moment. Malheureusement, si la protection de la liberté individuelle et des droits de l’homme n’ont pas de prix, elles ont un coût. Un coût qui doit être supporté par la nation tout entière. Et à mon sens, la combinaison de droits sociaux plus généreux en France qu’ailleurs en Europe et, jusqu’à aujourd’hui, de protections juridiques plus élevées dans notre pays que chez nos voisins pour les "sans papiers" , participent, par leur coût qui s’élève sans cesse dans notre beau pays, aux évolutions législatives en cours.
A mon sens, ce que l’on peut considérer comme un protectionnisme trop poussé contre les pressions migratoires est aussi la contrepartie du maintien de nos politiques sociales au niveau attractif où elles se trouvent. Paradoxalement il me semble que ce sont souvent les mêmes qui d’un côté militent pour un pays plus ouvert à l’accueil des étrangers qui de l’autre revendiquent des protections sociales plus élevées encore. Le problème c’est qu’il y a plus qu’une contradiction entre ces deux revendications. Le protectionnisme à l’égard de nos droits sociaux nécessite malheureusement de plus en plus de fermeté à l’égard de l’immigration clandestine attirée par cette offre attrayante, bien que déjà en quasi faillite.
Prenons un exemple concret. Un collègue responsable d’un groupe important dans la production et le négoce des fruits et légumes me faisait le compte rendu suivant, la semaine dernière, au retour d’un voyage en Allemagne du côté de Hambourg. Les producteurs de pommes allemands emploient de la main d’œuvre roumaine et polonaise. Ces saisonniers travaillent 10 heures par jour, six à sept jours par semaine. Les roumains sont rémunérés sur une base de 3.50 euros de l’heure avec des charges sociales à hauteur de 10 à 15%, jusqu’à 50 jours de travail. Le prix de revient de l’heure est alors de 4 euros toutes taxes comprises. Les polonais sont plus chers, cinq euros de l’heure, 5.75 euros avec les charges. Au-delà de 50 jours les charges passent à 40%. Voilà comment la première économie d’Europe, qui a résolument fait le choix de la compétitivité depuis plus de dix ans maintenant, régule adroitement les migrations. Pas de salaire minimum et le développement de productions qui nécessitent des coûts de revient hyper compétitifs. Une forme de délocalisation à l’intérieur des frontières. Qui sait pourtant si ce n’est pas en se « tiers mondialisant » un peu que s’exprime le mieux la générosité envers des migrants peu qualifiés à qui il ne serait pourtant pas fait d’autre cadeau que celui d'avoir le droit de travailler pour un très faible salaire. Cela est inimaginable en France à ce jour et pourtant bien réel en Allemagne dont nous n'allons pas vraiment avoir le choix de nous désolidariser.
Nos droits sociaux, dont l’attrait est réputé très loin, motivent encore dans ce contexte de plus en plus de migrants à venir tenter leur chance sur notre territoire. Un article a été publié dans le Figaro de ce week-end sur l’aide médicale d’urgence et les dérives auxquelles elle donne lieu. A mon sens on ne peut pas comprendre la volonté du gouvernement et du législateur si l’on ne prend pas la mesure du prix protectioniste à payer pour préserver nos acquis sociaux. De là à dire que les manifestants de mardi pour les retraites, auxquels vont se joindre « en conscience » et « spontanément » les étudiants, défileront égoistement à l'insu de leur plein gré pour le raidissement de la maîtrise sévère des flux migratoires, il n’y a qu’un pas….. que je franchis... peut-être un peu trop allègrement. Qu’en pensez-vous ?
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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