31 Juillet 2006
L’effroyable accident qui a coûté la vie à cinq personnes d’une même famille, lundi dernier sur la commune de Reignac, oblige à reparler de la route nationale 10. Le chauffeur du poids-lourd auteur de l’accident a perdu le contrôle de son véhicule pour des raisons encore inexpliquées. Le drame s’est produit sur un tronçon à deux fois deux voies et l’état de la route à cet endroit précis n’est bien évidemment pas en cause. En revanche le contexte dans lequel s’est produit l’accident ce lundi après midi sur la RN10 illustre une fois de plus la gravité tragique de la situation que nous subissons depuis des lustres en Charente avec notre réseau routier totalement inadapté au trafic. Trois accidents successifs en l’espace de deux heures qui ont tous pour protagonistes des poids-lourds. Le premier accident a eu lieu à Ladiville sur une portion de route à deux voies, le second à Saint Médard sur un tronçon à trois voies. Les ralentissements et les bouchons qui se sont formés aussitôt après ces accidents permettaient de constater comme à l’habitude la très forte proportion de poids lourds qui composait l’immense trafic de ce lundi. C’est l’ordinaire de cette route. C’est aussi une évidence, compte tenu du nombre de véhicules qui l’empruntent chaque jour, de la proportion très élevée de poids-lourds, des tronçons encore à deux voies, des rétrécissements liés aux travaux et de l’absence d’aménagements de parkings publics d’accueil pour le repos obligatoire des chauffeurs, la probabilité du risque d’accident est très élevée et la gravité potentielle proportionnelle à la masse des poids-lourds présents dans la circulation. Le risque zéro n’existe pas. Mais le principe de précaution minimum, qui à défaut d’être appliqué est devenu constitutionnel selon un souci cosmétique bien français, nécessiterait que le corridor de fret de transit européen le plus important de France qui traverse la Charente du sud à l’est se fasse sur une route à deux fois deux voies aux normes autoroutières, sans traversées à niveau possibles, avec une bande d’arrêt d’urgence adaptée, avec des aires de stationnement bien réparties et calibrées pour cette situation inédite.
C’est bien là que réside la monstruosité de la situation et qu’il y a lieu de chercher les responsabilités dans ce choix délibéré d’imposer un niveau de risque inacceptable à tous ceux qui utilisent cette route. Et puisqu’il s’agit d’une route nationale c’est très clairement l’Etat qui est responsable.
Je me suis replongé aujourd’hui dans la lecture des documents que j’ai réunis sur ce thème et plus particulièrement dans un livret de 50 pages, cartonné, de grand format, réalisé par le conseil général de la Charente et approuvé à l’unanimité de l’assemblée départementale le 30 avril 1999. Ce dossier qui analyse très en détail les données du problème aboutit à demander à l’Etat de sortir l’aménagement de cette route des contrats de plan Etat Région pour qu’il fasse l’objet d’un traitement exceptionnel en raison de sa particularité tout aussi exceptionnelle. Ce dossier a ensuite été remis à Lionel Jospin et ses ministres ainsi qu’aux représentants de l’Etat du moment. Pas plus ce gouvernement que ceux qui ont suivi ne semblent avoir entendu le message. A la suite du détournement politique de l’A10 par Saintes en 1971 de bonnes résolutions avaient pourtant été prises. Olivier Guichard le ministre de l’aménagement du territoire de l’époque promettait la mise à deux fois deux voies pour 1978 au nord d’Angoulème et pour 1980 au sud. Nous en sommes déjà à 26 ans de retard et puisque techniquement comme l’indique le préfet, 8 à 9 ans au minimum sont encore nécessaires « sans perdre ni une minute ni un euro » ce sera 35 ans au total qu’il aura fallu, si les fonds sont affectés, pour rectifier en partie la grave erreur du tracé de l’A10.
Dans ce dossier de 1999 le trafic poids-lourd à destination ou en provenance de l’est est encore assez peu évoqué et la revendication principale concerne essentiellement le tracé de la N10. Aujourd’hui ce trafic vers l’est, parce qu’il est impossible à détourner, a fortement infléchi les enjeux. Le problème à résoudre aujourd’hui concerne de façon bien plus urgente le sud d’Angoulème et la liaison avec la Croisière pour rejoindre la route centre Europe atlantique.
Toutes les données du problème sont archi connues, irréfutables, elles ont fait l’objet de nombreuses publications de l’association Axe Nantes Méditerranée. Pourtant le moins que l’on puisse dire c’est que l’Etat qui vient de se rendre seul responsable du réseau des routes nationales ne dit rien de clair sur ses intentions. Aucun plan d’action, aucun échéancier global de réalisation pour ce corridor de fret, nous en sommes toujours aux atermoiements et aux tergiversations d’usage.
Il faut dire, pour désespérer encore un peu plus, que les responsables politiques du département semblent n’être concernés que par des petits bouts du problème et ne mènent aucun travail collectif pour élaborer un schéma d’aménagement des routes de la Charente. Pendant ce temps là le grand contournement de Bordeaux se prépare, l’enquête publique pour la mise à deux fois trois voies de l’autoroute A63 dans le pays basque va être lancée et la concession pour la transformation en autoroute à deux fois trois voies de la RN10 entre Salles et Saint Géours de Marenne est en cours. Ça va faire du monde à Touvérac et à La Rochefoucault d’ici peu. En étant optimiste, puisque aucun engagement ferme n’est pris à ce jour, la roulette russe doit continuer pendant encore dix ans pour les poids lourds en provenance d’Oriolles qui accédent à la RN10 ou pour les agriculteurs et automobilistes qui vont encore quotidiennement devoir traverser cette route de l’apocalypse sur les tronçons à deux ou trois voies. Pour l'est du département ce sera 20 ans. Nos chances de survie s’amenuisent de plus en plus maintenant… J’ai tort d’être cynique sans doute mais rien ne peut justifier l’aveuglement coupable des décideurs et l’absence d’un plan efficace et immédiat pour recevoir dans de bonnes conditions ce corridor de fret européen en Charente.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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