4 Février 2018
Mercredi dernier, le projet de loi « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable » a été présenté en conseil des ministres. Il a ensuite été déposé sur le bureau de l’Assemblée Nationale qui devrait l’étudier en mars (pièce jointe).
Cette loi telle qu’elle est rédigée à ce jour, à mon sens, ne sert aucunement les objectifs qu’elle affiche. En revanche, elle va complexifier inutilement un peu plus encore la vie des paysans. Cette loi va même les mettre le plus souvent dans l’impossibilité d’exercer leur métier avec l’efficacité requise.
Je suis moi-même paysan. J’ai 61 ans et dans le métier depuis l’âge de 19 ans. A la suite de nos parents et avant de passer le flambeau à nos successeurs, avec mes associés et nos collaborateurs, nous avons développé au fil des ans l’activité de la ferme en recherchant à couvrir plus que les charges pour pouvoir investir et nous rémunérer. Un combat de tous les jours pour être compétitif, créer de la valeur par la technicité, la rareté, la qualité, la différentiation, la satisfaction des clients et défendre pied à pied nos prix de vente face aux acheteurs.
Autant dire que j’ai lu attentivement ce projet de loi pour voir comment intégrer dans la conduite de l’exploitation cette nouvelle donne. Et bien, après avoir lu et relu ce texte indéchiffrable, je suis comme une poule qui vient de trouver un couteau. D’abord, je n’y comprends rien et je suis infoutu d’imaginer comment je vais pouvoir intégrer les nouvelles obligations qu’il contient dans le fonctionnement de l’entreprise sans la ruiner en paperasseries inutiles et en honoraires délirants de juristes. Tout ça au risque de me faire aligner par les gendarmes de la DGCCRF ou autres si, quand je contractualise avec un acheteur, je ne me conforme pas pile poil avec les dispositions effarantes et d’une bêtise insondables contenues dans la future loi. Difficile quand même d’accepter qu’une loi supposée nous aider bien au contraire nous démolisse. Alors qu’en matière de défense de la valeur nous nous sommes plutôt pas si mal débrouillés jusque là.
Ce nouvel enfer réglementaire qui nous est promis est pourtant pavé de bonnes intentions.
C’est sans doute pour cela que les réactions que j’entends ici ou là chez les responsables professionnels sont plutôt bienveillantes ou positives. Chacun veut encore y voir une réponse à ses demandes de rééquilibrage du pouvoir entre l’agriculteur isolé et ses acheteurs très concentrés. Mais c’est aussi le paradoxe quelquefois des élus de nos organisations que de vouloir s’affranchir des réalités objectives pour tenter de donner enfin corps à certaines utopies. Comme cette idée saugrenue de vouloir contraindre son acheteur à payer au moins le prix de revient d’un produit sans qu’il aille s’approvisionner moins cher ailleurs si on lui propose. Quand les poules auront des dents peut-être.
Alors forcément, quand on demande une mesure qui ne coûte rien au pouvoir politique, il se met en quatre pour tenter de résoudre la quadrature du cercle. Il n’y parvient évidemment pas, mais la complexité incompréhensible du carcan qu’il propose grâce à ses énarques laisse pantois et fait un temps illusion. On se sent un peu idiot et on n'ose pas l'avouer. Même les opérateurs les plus pragmatiques se demandent si il n’y a pas quand même quelque chose à gratter avec cette usine à gaz censée donner du pouvoir au producteur et faire passer sous ses fourches caudines l’acheteur.
Ce temps-là va pourtant une nouvelle fois être de courte durée. Comme il l’a été avec la LMAP de Bruno Le Maire en 2011. Mais politiquement, le bénéfice est engrangé. Le temps passe, l’inutilité du dispositif se démontre jour après jour, le gendarme le sait et tourne la tête pour ne pas voir et devoir sévir. Les choses restent en l’état. Comme chacun sait, il n'y a pas de problèmes insolubles que l'inaction ne saurait résoudre dans le temps. La vie continue à peu près comme avant. Beaucoup d’énergie et d’argent a été dépensé, d’abord pour créer les textes inutiles, ensuite pour les intégrer avec le moindre impact négatif possible. Tout cela étant supporté de plus en plus difficilement par ceux qui en payent le coût alors qu’il était prévu qu'ils en retirent quelques avantages.
Le plus étonnant c’est que l’expérience ne sert aucunement de leçon. Le même scénario se reproduit exactement de la même façon quand la catastrophe précédente a été oubliée. Ça me fait penser à la réponse d’un ami marchand de meubles à qui je demandais pourquoi il s’obstinait à afficher un prix très élevé pour faire des réductions sans cesse plus élevées. Il m’avait répondu que depuis que le monde est monde le comportement à l’achat des consommateurs répond aux mêmes astuces.
En politique c’est la même chose. Promettre la lune et annoncer que l’on va raser gratis permet toujours de gagner les élections. En économie en revanche, seuls ceux qui comprennent les règles du jeu et les affrontent lucidement sont susceptibles de gagner.
Et dès lors que la DG concurrence à Bruxelles comme l’autorité de la même chose en France veillent au grain sans partage, tout stratagème politique qui vise à le faire oublier n'est qu'un gros mensonge. Mais un mensonge qui plait. Y compris dans les médias qui ont relayé sans chercher à comprendre les messages lénifiants qui ont accompagné le projet de loi.
Le temps viendra j’espère où les paysans sauront que la meilleure assurance pour leur revenu sera de comprendre parfaitement comment fonctionne leur marché. C’est ainsi qu’ils trouveront par eux-mêmes l’organisation à mettre en place pour y répondre. C’est ainsi qu’ils réussiront à créer de la valeur et à la défendre auprès de leurs clients. Cette loi va les tromper et les affaiblir encore un peu plus pendant quelque temps. Espérons que nombre de paysans survivent une fois de plus à ce mauvais coup qu’on leur porte.
Le relèvement du seuil de revente à perte est une décision technique de cette loi qui ne mange pas de pain dont le seul mérite est de limiter la dispersion des prix au rayon. C'est bien la seule qui trouve grâce à mes yeux.
En revanche, l’encadrement des promotions en volume et en valeur me semble parfaitement inapplicable et invérifiable concrètement.
Quant aux CEPP (Certificats d’Economie des Produits Phytosanitaires) dont j’ai déjà longuement dit ici out le mal que j’en pensais, je suis plus désespéré que jamais qu’ils soient confortés par cette loi. J’attends évidement avec impatience la prochaine révolution culturelle qui enverra aux champs l’armada de têtes pensantes coupables de cette monstruosité. Pendant ce temps là nous allons bien sûr tout mettre en oeuvre pour progresser sur la voie exigeante de l'agroécologie.
Vous avez compris je crois que cette loi m’horripile grave tant elle va leurrer et pénaliser une fois de plus l’agriculture.
J’ai aussi la conviction que si le Président Emmanuel Macron prenait quelques minutes pour évaluer par lui-même ce texte de loi, il comprendrait très vite en libéral que je crois qu'il est qu’il faut le mettre à la poubelle.
Ce dont a besoin l’agriculture c’est de pouvoir desserrer les contraintes d’un droit de la concurrence qui sanctionne à priori dès lors que l’on suspecte que des moyens de l’entente sont mis en œuvre. Et cela bien avant qu’une quelconque entente ait eu lieu et créé de la valeur indue à la charge du consommateur.
C’est bien en autorisant les paysans à échanger précisément en groupe sur les emblavements, les prévisions de récolte, l’évolution des stocks, les mercuriales des cours sur les marchés au plus près des cotations, qu’ils seront plus pertinents pour optimiser la valeur de leurs productions.
Mais autant demander la lune. Alors que faire tomber du ciel un dispositif obscur et inutile, il suffit de demander.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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