24 Décembre 2017
C’était couru d’avance. Voter contre une délibération par laquelle le Conseil Régional demande la poursuite de la politique de cohésion de l’Union Européenne qui ramène en moyenne 360 millions d’euros par an en Nouvelle Aquitaine et c’était la volée de bois vert, rose et même multicolore, assurée dans l’hémicycle.
C’était juste après le déjeuner. L’ordre du jour avait été modifié et l’enceinte était encore un peu vide. J’ai eu juste le temps de regagner dare-dare ma place pour expliquer sans convaincre en quatre minutes chrono ma désapprobation de la supplique déroutante adressée à la Commission Européenne. (Lire l’article précédent : « De l’impôt toujours et encore. Ou comment enfin réussir à s’élever dans les airs en se tirant plus fort par les cheveux.)
Parce qu'il était tellement évident pour presque tous à priori qu’il fallait être favorable à ce vœu que chipoter comme je l’ai fait et à la fin se désolidariser ne pouvait que susciter la consternation et le désaveu d’une très large majorité de conseillers.
Et ce n’est pas sans avoir eu droit d’abord à l’incompréhension du Président suivie d’un commentaire réprobateur en plus d’une défense et illustration de l’Europe en Région. Parce que selon lui, la politique de cohésion territoriale est d’une pertinence incontestable et remettre en cause les prélèvements obligatoires qui y sont liés est irresponsable, tant ils sont nécessaires. Et si disfonctionnements et pinaillements dans le système il y a, ils sont dus exclusivement à la France.
La vice-présidente en charge du dossier, elle aussi socialiste, m’en a remis une couche du même tonneau des Danaïdes. La chose était entendue, je n’y comprenais rien. J’étais même selon le Président une sorte de Nigel Farrage au petit pied dont les raisonnements erronés ne peuvent que fragiliser un peu plus le consentement à l’impôt et nuire au projet européen. Fichtre !
Et si c’était tout le contraire? Et si demander dans une même délibération aux contribuables de Nouvelle Aquitaine de payer 320 millions d’euros d’impôts en plus par an pour que l’UE puisse continuer à reverser tout ou partie des 360 millions d’euros actuels au titre de sa politique de cohésion était le tour de passe-passe de trop? Et si le projet européen était justement en péril pour avoir trop cherché à venir planter le drapeau dans chaque village au prix de surcoûts invisibles mais bien réels pour le contribuable de ce même village? Et si c’était de ne pas avoir mis en œuvre efficacement les compétences régaliennes qui lui ont été dévolues dont souffre le plus l’Europe aujourd’hui?
Regardons-y d’un peu plus près. Mais pour cela il faut prendre un peu de distance et de hauteur.
Mardi dernier, à la fin de la séance plénière, la Président Alain Rousset nous a invité à prendre un exemplaire d’un document mis opportunément à notre disposition qui s’intitule : « La Région et l’Europe agissent ensemble pour votre territoire ». Et en sous-titre, il est rappelé que « d’ici 2020, près de 2.5 milliards d’euros de fonds européens vont appuyer le développement régional, renforcer les atouts des territoires et faciliter l’insertion professionnelle des Néo-Aquitains ». Viennent ensuite un certain nombre d’exemples concrets de projets qui ont reçu des subventions européennes au titre des fonds FEDER, FSE, FEAMP ou FEADER.
Nul doute que les entreprises, les agriculteurs, les pêcheurs, les collectivités, les universités et tous les autres bénéficiaires apprécient le levier important qu’a représenté pour eux le bénéfice de ces aides. Ils sont à coup sûr tous reconnaissants à la fois à la Région et à l’Europe d’avoir souhaité les accompagner dans leurs investissements en réduisant leur part de charge résiduelle.
Je suis moi-même dans ma vie de paysan entrepreneur forcément à la recherche des optimisations possibles par les aides disponibles. Et je m’en veux souvent de ne pas avoir su bénéficier comme d’autres de tel ou tel dispositif existant et donc de me mettre en situation de moindre compétitivité par rapport à mes concurrents. Mais il m’arrive aussi de penser que l’aide me coûte quelque fois plus cher qu’elle ne me rapporte. Bon, c’est encore une autre histoire qui méritera également d’autres développements.
Voilà donc pour ce que l’on voit, comme dirait le grand landais Fréderic Bastiat. Le sentiment du devoir accompli pour leur territoire de la part des élus qui se battent pour que les aides européennes ou autres viennent soutenir l’activité économique et le développement du territoire. Des bénéficiaires satisfaits que l’Europe en plus de la Région les soutiennent. Une manne d’argent bienvenue pour la Nouvelle Aquitaine. Une Europe présente au plus près des territoires et de ceux qui y vivent.
Mais tout aussi important est ce que l’on ne voit pas. Si sur une période de 7 ans, 2.5 milliards d’euros proviennent du budget européen pour venir s’investir en Nouvelle Aquitaine, sur la même période les contribuables de la Région auront versé plus de 11.5 milliards d’euros au budget européen. C’est-à-dire plus de quatre fois ce qui leur revient par cette politique de cohésion.
Il est donc plus juste de dire que ce sont les Aquitains qui ont constitué la cagnotte dont se servent les politiques à tous les étages, y compris à l’échelle de l’Europe pour intervenir localement en Aquitaine.
Il n’est donc pas incongru non plus de se demander si un aussi long circuit financier, politique et administratif pour subventionner une serre destinée à la production de fraises dans les Landes ou la création d’un parc agrotouristique chez un agriculteur de Corrèze est bien nécessaire.
D’autant plus au moment où l’Europe prévoit enfin de mobiliser une partie de son budget pour se constituer une défense, améliorer la protection de ses frontières extérieures et contrôler les migrations qu’elle subit qui menacent gravement sa cohésion. A l’heure aussi où le départ de l’Union du troisième contributeur net au budget qu’est le Royaume Uni réduit d’autant ses ressources.
Vouloir en plus de ces nouvelles priorités européennes maintenir la politique de cohésion et ses retours budgétaires en Région au prix d’une augmentation de 20% des ressources de l’Europe mérite quand même de soupeser la pertinence du système.
Le principal argument des défenseurs du circuit long de nos impôts, qui doivent passer par Bruxelles avant de revenir amaigris et grevés de mille exigences au point de départ, c’est la solidarité et la péréquation entre pays et régions riches et pays et régions pauvres.
C’est ainsi que certains pays ou régions sont contributeurs nets ou bénéficiaires nets. Mais faut-il pour rééquilibrer les développements passer par la multiplication des aides locales?
Le même document que je citais tout à l’heure indique qu’à novembre 2017 et depuis le 1er janvier 2014 nous en sommes pour l’Aquitaine à 52.750 projets accompagnés pour 833 millions d’euros, soit 15.800 euros par dossier. Vous imaginez à l’échelle des 28 pays et des 500 millions d’habitants ce que cela doit représenter? Plus de 4 millions de d'opérations par an sans doute si l'on garde les mêmes ratios. Vous imaginez l’architecture du cadre politique et réglementaire qui régit tout cela? Vous supputez la batterie de contrôles et de contrôleurs diligentés à tous les étages pour vérifier que la finalité voulue par l’Union, ses présidents, ses députés, ses commissaires et tout le commissariat est bien respectée?
Il y a évidemment des moyens plus simples pour aider au rééquilibrage des développements en Europe. A commencer par exemple par des contributions différenciées.
Mais le plus efficace c’est évidemment le marché unique et la libre circulation des capitaux, des marchandises et des hommes en Europe. Avec le droit social et la politique salariale qui reste de compétence nationale, la concurrence entre pays s’exacerbe et les plus compétitifs ont tôt fait de croître plus vite que les autres. Jusqu’au rééquilibrage attendu.
La main invisible du marché a de plus le mérite de faire moins de bêtises que la main bien visible mais si maladroite du politique et de ses administrations lorsqu’il s’agit d’intervenir dans l’économie.
Il est assez incompréhensible d’ailleurs de voir les mêmes politiques qui ont voulu la loi NOTRe en France, pour que chaque étage politique et administratif s’occupe de ce qui le concerne directement, raisonner complètement différemment quand il s’agit de l’Europe.
Il est assez stupéfiant de voir assumer sans rire par les mêmes politiques d'aussi grands paradoxes. Quand il s’agit d’agriculture et d’alimentation, il semble qu’il ne puisse y avoir de salut qu’avec ces fameux circuits courts et le local. On les pare de toutes les vertus quand pourtant la concentration urbaine et les envies de consommation creusent durablement d’autres sillons sur la planète. Mais dès lors qu’il s’agit de l’argent du contribuable, les mêmes vantent sans sourciller les mérites des circuits longs, voire très longs. Il est pourtant flagrant que la rémunération de tous les étages de décision et de contrôle grignote inutilement les impôts des contribuables gagnés à la sueur de leur front. A l'heure de la priorité des luttes contre les gaspillages il serait utile de regarder de ce côté là aussi.
Mais de tout cela il ne faut pas parler. Il faut rabâcher le dogme. Ne pas laisser s’installer le doute. Continuer de faire croire que les entreprises réussissent parce qu’on les aide. Que si le chômage diminue c’est parce que les politiques agissent. Et que l'argent public est si précieux qu'il est forcément bien dépensé.
Pas question d’analyser les processus publics. Pas possible de les évaluer à l’aune de l’efficacité réelle. Pas question de réduire le champ d’action du politique pour qu’il se consacre prioritairement faire la loi et à fixer les règles sans participer au jeu par l'entremise de la subvention. Pas imaginable de le faire se concentrer prioritairement voire exclusivement sur ce qui relève de sa maîtrise d’ouvrage directe.
En politique, tout le monde doit chercher à tenir tout le monde par la barbichette. L’interdépendance doit être partout. Chacun doit pouvoir s’occuper de tout pour garder autant que faire se peut le lien avec l’électeur. Autant dire qu'agrandir en maintenant le nombre de strates aggrave plutôt une situation qui n'était déjà pas brillante.
L’Europe est à un tournant, c’est une évidence. Elle est surtout face à des questions politiques et stratégiques essentielles. Les pays de l’Union doivent faire des choix. Quelle ambition fédératice les unit? Quels contenus veulent-ils donner à leur projet collectif? Quelles missions essentielles doivent-ils remplir ensemble? Quelle subsidiarité doivent-ils reconnaître aux états membres ?
Des motions comme celle votée cette semaine à la Région Nouvelle Aquitaine vont nécessairement fleurir de partout en Europe. Mais il est à mon sens assez improbable que la fuite en avant budgétaire proposée fasse consensus. Les quelques 34 milliards de budget supplémentaire souhaités à Bordeaux ne sont pas prêts de tomber dans l’escarcelle de Bruxelles.
Alors il faudra bien se poser les bonnes questions. L’âge des politiques routinières conduites en Europe ne peut plus rendre tabou l’examen de leur pertinence. Politique agricole y compris.
Dans ce contexte, la France encore moins que tout autre pays en Europe ne peut se laisser aller à une dérive budgétaire. Nous sommes en effet passés devant le Danemark pour le record européen des prélèvements obligatoires et de la dépense publique.
Quoiqu’en pense la Président Rousset, la réussite de la France passera par la baisse des prélèvements, de la dépense et de l’endettement. Et contrairement au cri généralisé à tous les étages politiques du pays, les marges de manœuvre existent dès lors que l’on restreint le champ d’intervention indirect de l’Etat et des collectivités et que l’on simplifie l’organisation des systèmes.
C’est à cela qu’il faut se consacrer, pas à ruser pour trouver encore ici ou là de l’impôt en plus pour que rien ne change.
Mon regard se tourne vers le Président Emmanuel Macron pour tenter de percevoir la force des convictions libérales qui guident son projet pour le pays. Parce que c’est au sommet de l’Etat que se fixe le cap en France. Et il faut qu’il soit tenu solidement pour espérer réussir à réformer en profondeur un système gourmand en impôts tant il est corseté de partout.
Hausse de la CSG et suppression partielle et différée de la taxe d’habitation sont à cet égard peu ragoutantes, il faut bien le dire. Tout comme la suppression du CICE compensé seulement au deux tiers par la baisse des cotisations sociales.
En revanche, le questionnement en cours sur l’audiovisuel public est porteur d’espoir sur cette approche libérale tant attendue ici. Tout comme l’arrêt de la compensation par l'Etat aux régions des 450 millions d’euros destinés au soutien à l’économie. Puisque avec un déficit de près de 80 milliards l’Etat ne doit plus faire semblant de donner d’une main ce qu’il va devoir reprendre de l’autre.
Un peu comme Brice Couturier dont je lis en ce moment l’étude sur la formation philosophique d’Emmanuel Macron, je crois au déterminisme des idées et des convictions. Et je ne bouderai pas mon adhésion à des orientations politiques que je sens poindre et qui correspondent à mes convictions.
L’augmentation de 20% du budget européen à ce stade n’en fait pas partie.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
Voir le profil de Daniel Sauvaitre sur le portail Overblog