15 Mars 2015
6081 personnes (IP unique) ont visité mon blog depuis dimanche dernier. Je suis plutôt entre 1500 et 2000 par mois d’habitude. En fait, je n’ai pas connu une telle fréquentation sur mon modeste journal underground et confidentiel depuis février 2011. Je m’étais alors énervé grave contre cette autre mystificatrice de très bel acabit qu’est Isabelle Saporta. C’était une sale affaire, assez similaire à celle qui me fait user mon clavier depuis quelques jours. Vous pouvez d’ailleurs toujours en consulter les attendus en cherchant les articles de cette période classés à la rubrique bien ferme et bien croquante « ma pomme prise pour une poire ». En tout cas, il se confirme avec cette nouvelle attaque de tordeuses de la vérité contre les pommes, que l’odeur de la poudre phytosanitaire fait vendre et est de plus en plus explosive.
Ce blog a la particularité depuis sa création il y a 10 ans de ne pas modérer les commentaires avant publication. La censure y est très rare. C’est ainsi que j’ai plaisir à accueillir les avis de Mathieu L, Romuald ou Aubarecy, qui manifestement ne sont pas d’accord avec moi. Et c’est tant mieux. En écrivant ce nouveau chapitre de mon décryptage du reportage d’Envoyé Spécial, je vais tenter de leur répondre. Et puis je souhaite vivement qu’un jour prochain mes commentateurs se sentent suffisamment à l’aise ici pour sortir de l’anonymat. Je critique mais ne mords pas.
Le passage le plus inquiétant du reportage est évidemment celui qui traite de la sécurité des travailleurs. C’est un sujet qui n’autorise pas la légèreté. Mais là encore, « l’information » délivrée aux téléspectateurs est-elle complète ?
Avant de tenter d’éclairer ce sujet complexe, je dois vous dire mes chers lecteurs d’où je vous parle.
Je suis viticulteur et arboriculteur depuis 1977. Mais j’ai commencé à travailler sur l’exploitation familiale pendant les vacances d’été dès 1971 à 15 ans. J’ai été affecté très tôt à l’application des traitements phytosanitaires dans les vignes et les vergers. Poste que j’ai occupé assidument jusqu’au début des années 90. J’avais un tracteur sans cabine au début. Alors, pour la protection contre les embruns de la pulvérisation, je me contentais d’un vêtement de pluie. Au moment de la préparation des bouillies, la protection était tout aussi aléatoire. Inévitablement, j’ai du inhaler d’assez grandes quantités de poussières des poudres mouillables utilisées et ai été en contact avec les bouillies à épandre par les mains et le visage. Il se trouve aussi que je m’étais mis à fumer en 1975 lors de mon périple en Australie. Je ne me suis arrêté qu’en 1981. Entre temps, lors des applications de produits phytosanitaires, je continuai de griller des cigarettes. Difficile d’avouer le niveau de négligence qui était le mien ces années là. Cependant, j’ai eu très vite conscience de mon imprudence. Et j’ai été l’un des premiers dans la région à m’équiper d’un scaphandre homologué au début des années 80. Je n’ai eu de cesse depuis de faire respecter le plus fidèlement possible les prescriptions de protection individuelles réglementaires. Je m’interroge aussi beaucoup sur ces notions primordiales de bénéfice attendus et de risque encouru.
Vous connaissez sans doute l’histoire du type qui va voir son médecin pour lui dire qu’il craint de mourir trop tôt et qui lui demande ce qu’il doit faire pour une meilleure longévité. Les questions fusent de la part du médecin. Vous fumez ? Vous buvez ? Vous aimez gueuletonner ? Vous mangez les produits issus de l’agriculture conventionnelle ? Les femmes vous motivent ? Le médecin ayant prescrit au patient de renoncer à tous ces plaisirs, le type questionne alors pour savoir si en arrêtant tout ça il allait vraiment vivre plus vieux. Et il s’entend répondre par le médecin : « Je n’en sais fichtre rien, mais ce dont je suis sûr c’est que le temps vous paraitra plus long ».
Je pense que les problèmes de santé publique qui nous intéressent aujourd’hui ont beaucoup à voir avec cette analyse. Après tout, pourquoi ne pas se contenter de ce que la nature accepte de nous donner sans toujours vouloir la contraindre et lui demander plus. Rester chasseur et cueilleur n’aurait-il pas été plus raisonnable et logique ? J’ai au contraire l’impression que nous cherchons en permanence de nous affranchir des aléas et des limites de la nature, de ce qu’elle nous offre et des souffrances qu’elle nous inflige. L’agriculture « moderne » pour parler comme l’un de mes commentateurs n’est que l’une des facettes de cette exigence envers la nature qui nous anime et nous motive. La nature aussi doit se plier à ce que nous souhaitons qu’elle nous offre. C’est pour cela qu’en même temps que se sont inventés les médicaments pour les humains ont été découverts et mis au point les produits phytosanitaires pour les plantes. Les bénéfices obtenus sont-ils supérieurs aux risques encourus ? Les bénéfices revendiqués peuvent-ils être maintenus en diminuant encore les risques encourus ? C’est bien là toutes les questions qui se posent mes très durables lecteurs.
Aujourd’hui, en 2015, la lutte contre les maladies et les parasites de la vigne et des pommiers se fait à l’aide de tracteurs équipés de cabines et de filtres. Lors de la préparation des bouillies, la sécurité à l’aide des équipements de protection individuels réglementaires est obligatoire. Une bonne part des matières actives réputées dangereuses qui s’utilisaient à mes débuts ont été complètement éliminées depuis. La sécurité des applicateurs et des salariés présents dans les vignes et les vergers est devenue depuis des années un impératif absolu. Salariés et employeurs reçoivent une formation obligatoire à la sécurité pour l’emploi des produits phytosanitaires. Rien n’est plus comme avant même si nous sommes toujours assez loin du risque zéro.
Et bien entendu je suis devenu un militant actif de la lutte intégrée, selon la définition donnée à ce terme par l’OILB (l’Organisation Internationale de Lutte Biologique). La protection phytosanitaire n’est utilisée en dernier recours qu’après avoir mis en œuvre les prophylaxies et le bio contrôle disponible et en fondant chacune des interventions sur des observations pour mesurer l’atteinte des seuils de nuisibilité. Principes repris et contrôlés par la Charte Nationale des Pomiculteurs de France qui donne lieu à l’identification en rayon : « Vergers écoresponsables ».
Malgré son intérêt commercial et marketing, je n’ai pas souhaité développer de production certifiée en Agriculture Biologique. Pour une même variété de pomme, le nombre de traitements par pulvérisation est souvent plus important en agriculture biologique. Ramené au kilo produit, la quantité de fuel nécessaire associée à la quantité de produits phytosanitaires utilisée n’est pas en faveur du bio. Les produits utilisés sont pour une partie les mêmes que ceux utilisés en « conventionnel ». Cuivre, soufre, bouillies Sulfo Calcique pour les fongicides ou Azadirachtine, pyrèthres pour les insecticides. Les moyens de bio contrôle comme la confusion sexuelle par phéromones sont tout autant employés en « conventionnel » qu’en bio.
Au regard de la dangerosité pour les utilisateurs des produits, la protection avec des équipements aux normes est obligatoire en bio comme en conventionnel. Pour les voisins, que la parcelle soit conduite en bio ou en conventionnel, les nuisances par la dérive des pulvérisations et par leur fréquence n’est pas moindre. Et du côté de l’incidence pour l’environnement, le cuivre par exemple s’accumule dans les sols et finit sur le long terme par les stériliser alors que l’utilisation d’un produit de synthèse peut être un meilleur compromis.
La voie optimum à suivre pour l’arboriculture, à mon sens, n’est pas l’observation stricte du règlement européen bio. Règlement très figé qui a bien du mal à évoluer en ce moment faute d’accord entre pays membres de l’UE. L’optimum ne peut être obtenu qu’en s’affranchissant du carcan du dogme bio et de la barrière artificielle qui sépare dans l’imaginaire collectif les bons produits naturels des supposés mauvais produits de synthèse. La voie à suivre est médiane. Les progrès les plus importants attendus relèvent d’abord de la génétique pour plus de tolérance aux maladies et ravageurs. Ils sont aussi liés à la création de protections physiques contre les causes des maladies et les attaques de ravageurs. C’est ainsi que des filets sont posés sur des vergers, tels des moustiquaires, pour prévenir l’entrée du papillon cydia pomonella (ver des pommes). Ou que des bâches anti pluie sont mises comme un toit sur le verger pour éviter que l’eau ne tombe sur le feuillage et interdire ainsi le développement de la tavelure. Et puis si Allassac ONGF démontre qu’il est possible de gagner sa vie en produisant des pommes sans aucun pesticide avec le verger qui doit être inauguré à la fin de ce mois, je serai le premier à en promouvoir les techniques et les recettes.
La dérive des embruns de pulvérisation lorsqu’il y a du vent fort provoque des nuisances pour les riverains très proches des vergers, c’est une réalité. Et la nature est ainsi faite que le moment de l’intervention contre la tavelure par exemple peut s’imposer même en présence de vent. En bio comme en conventionnel bien sûr. C’est pourquoi il est indispensable que les documents d’urbanisme des communes soient extrêmement vigilants à instituer des barrières végétales importantes entre les zones à urbaniser et l’activité agricole. Le maintien de l’agriculture dans notre pays nécessite de séparer de plus en plus les zones habitées des espaces cultivés. Au fur et à mesure où s’implantent de nouveaux habitants dans les espaces ruraux, la tolérance aux pratiques de l’agriculture se réduit. Plus la vie des urbains et des rurbains se sophistique et devient artificielle, plus l’exigence d’une nature parfaitement préservée et accueillante progresse. Beaucoup trop de mitage de nos espaces agricoles a déjà été autorisé. A moins de ne laisser encore filer hors de nos frontières la production et d’importer plus. Depuis 2000 la production de pommes s’est réduite d’un quart en France alors qu’elle a encore progressé en Italie. Dans le même temps la surface de vergers de pommiers s’est réduite d’un tiers.
Et puis bien sûr nous sommes toujours loin du compte sur les moyens d’application des produits sur le végétal. Pour en confiner l’application aux arbres et aux fruits avec le moins de dispersion possible dans l’air et sur le sol tout en assurant une parfaite protection de l’applicateur.
C’est très bien tout ça allez vous me dire mes chers lecteurs, mais qu’en est-il du témoignage de Julien et de Sorina dans le reportage ? La sécurité des travailleurs, exploitants ou salariés est-elle si bien assurée que ça ?
Que nous dit Julien qui n’a pas souhaité témoigner à visage découvert? Qu’un salarié a qui il avait demandé de quitter le verger qu’il allait traiter s’est vu répondre par son chef qu’étant fumeur, il pouvait retourner dans la parcelle, que le risque en quelque sorte était moindre. A travers cet exemple forcément sujet à caution, il est sous entendu que c’est comme ça que ca se passe dans les vergers du Limousin et d’ailleurs. La situation dans les vergers comme sur tous les autres lieux de travail de l’activité économique est loin d’être parfaite. Mais jeter l’opprobre sur toute une profession à partir d’un témoignage invérifiable, même s’il est très plausible, est assez inadmissible.
J’ai raconté sur ce blog comment des militants de la cause bio avaient épandu sur les pelouses du parc de Saint Chamond de l’huile de Neem pour en revendiquer l’homologation en France. Tout ceci à visage découvert et sans protection en présence d’enfants. Alors que ce produit bien que naturel est parfaitement dangereux pour l’homme et que l’homologation n’ait pu être récemment obtenue que parce qu’il conditionne le maintien et le développement de la production biologique. Croyance quand tu nous tiens. Imaginez un reportage qui montre des travailleurs dans une parcelle de pommiers fraichement traitée avec de l’huile de Neem. La présomption d’innocuité d’un produit naturel serait sans doute assez forte pour que personne ne trouve rien à redire. Marie Monique Robin applaudirait presque. La situation serait pourtant peut-être potentiellement plus dangereuse que celle ou se trouvait le salarié évoqué par Julien s’il s’agissait dans son cas d’un traitement au soufre, au cuivre ou avec de la carpovirusine. Mais ça, Julien ne nous le dit pas et l’enquêteuse non plus.
Et une nouvelle fois, même s’il ne s’agit pas de nier qu’il y ait un certain risque pour l’applicateur, il est très intéressant de constater les résultats de l’étude Agrican. L’espérance de vie des agriculteurs est plutôt meilleure que pour le reste de la population et le pourcentage de cancers qu’ils expriment est plutôt plus faible. Si l’on veut bien admettre que la toxicité des moyens employés a beaucoup baissé pour ceux qui sont exposés aujourd’hui comparativement à ce qu’a vécu la population dont je fais partie objet de l’étude, au-delà des apparences, travailler dans les vergers ou pour l’agriculture est plutôt sécurisant.
Qu’en est-il maintenant de l’autre révélation choc de l’émission, du drame vécu par Sorina ? Elle témoigne à visage découvert et ce que l’on apprend semble parfaitement accablant pour l’employeur et contre les produits phytosanitaires. Il faut donc y regarder d’un peu plus près mes chers lecteurs avides d’explications.
Sorina Aparaschivei est roumaine. Elle est arrivée avec son mari et ses enfants en France en 2008. Sans ressources et sans emploi, la famille trouve assistance auprès des associations caritatives. Un prêtre de Chateauroux évoque auprès d’un ami arboriculteur du nord de la Creuse la situation de cette famille et sollicite son aide. Cet arboriculteur exploite une douzaine d’hectares de pommiers à ce moment là et cultive aussi un peu de céréales. Une partie du verger est destiné à la vente directe et comprend quelques variétés anciennes comme la Sainte Germaine ou la Reinette Feuillou. Une autre partie de la production est apportée à une coopérative du limousin dont il est le producteur le plus éloigné. L’arboriculteur décide d’accueillir la famille. Les enfants vont à l’école au village, un travail est trouvé pour le mari et Sorina travaille sur l’exploitation. La famille est hébergée par l’arboriculteur qui selon ses mots les considère tous les deux avec les enfants comme des réfugiés économiques. Tout se passe bien entre eux. Pour cet arboriculteur qui n’avait pas de salarié avant, Sorina est presque une collaboratrice et l’ambiance au travail est quasi conviviale. Il lui fait quand même la remarque qu’elle ne doit pas fumer dans la cabine quand elle applique les traitements et qu’elle doit porter les vêtements de protection qu’il lui met à disposition. Mais elle était fataliste me dit-il et lui faisait savoir qu’elle s’en foutait.
Tout petit loyer, du bois offert gratuitement pour se chauffer et autres menus avantages font que la situation économique de la famille s’améliore. Pour autant l’ambiance dans le couple se tend. Le mari souhaite rentrer au pays quand Sorina veut s’établir en France. L’arboriculteur prévient les gendarmes des scènes violentes qui se déroulent parfois et des craintes qui sont les siennes. Pas assez pourtant pour qu’il y ait matière à intervenir en prévention selon eux. Jusqu’au jour où l’arboriculteur les appelle pour leur demander cette fois-ci de se déplacer, mais qu’ils peuvent prendre leur temps, qu’il n’y a plus de risque cette fois-ci puisque le mari s’est pendu à l’étage de l’appartement. Ce sont les enfants éperdus qui ont prévenu Arnaud, l’arboriculteur. Avant de mettre fin à ses jours le mari s’en est malheureusement pris d’abord à sa femme à coups de marteaux sur la tête. Sorina l’a échappé belle mais a gardé des séquelles qui la conduisent à consommer en quantité des antalgiques comme le paracétamol. Jusqu’à devoir en réduire les doses tant elles lui provoquaient des troubles évidents. La vie continue et Sorina part habiter au village. Sa situation économique se détériore au regard des coûts plus importants qu’elle doit assumer. Elle entre en relation avec l’ONG générations futures, Allassac ONGF et Phytovictimes qui lui proposent une autre forme de soutien caritatif et décide de porter plainte contre X pour inhalation de pesticides. Une première en France nous dit le journal le Populaire. Depuis, elle est en arrêt maladie et a assigné son employeur aux prud’hommes. La coopérative a mené son enquête au regard du respect des obligations de la Charte qualité par l’arboriculteur. Contrôle qui n’a rien révélé d’anormal sur cette petite exploitation qui ne comporte plus que 8 hectares de pommiers à ce jour. Les services de l’Etat ont aussi mené une enquête très soignée. L’employeur risque d’être sanctionné pour ne pas avoir contraint sa salariée à porter ses équipements de protection lors des traitements. Quand au recours auprès des prud’hommes il faut encore attendre pour savoir quel en sera l’issue.
Je ne sais pas comment vous percevez les choses mes chers lecteurs, mais racontée comme ça, l’histoire n’est plus tout à fait la même que celle qui a été délivrée aux téléspectateurs à une heure de grande écoute. Il me semble qu’il y a matière à être prudent et à ne pas tirer de conclusions hâtives et définitives sur l’employeur forcément sans cœur et uniquement soucieux du lucre comme le laisse entendre la plagiaire inquiétante d’Erin Brockovich qui officie chez Toni Comity Production. La conclusion qui pointerait uniquement la manipulation des produits phytosanitaires pour expliquer définitivement les maux de tête et les nausées de Sorina serait tout aussi hasardeuse.
L’espace qui m’est laissé disponible par overblog avec mon abonnement premium ne suffirait pas à loger tout ce qu’il y aurait à dire et à décliner à la suite du travail de cette envoyée très spéciale de la 2. Je vous propose quand même un dernier épisode à ce décryptage de l’émission. Nous essaierons donc de savoir bientôt d’où nous parle François Veillerette et si on peut lui faire confiance ?
Guide des intrants en agriculture bio
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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