12 Mars 2015
Notre reporter sans frontières très objectives se transporte donc dans le Limousin pour s’intéresser aux dégâts provoqués par « l’arrosage automatique aux pesticides ». Pratique déraisonnable et généralisée des arboriculteurs qui est la conséquence dangereuse de leur obsession pour la beauté plastique de leurs pommes, selon les déductions que Valérie Rouvière a cru pouvoir tirer de sa visite chez Pierre pour la 2.
Dès son arrivée, elle aperçoit un nuage de pulvérisation dans un verger. Pas d’erreur, on l’avait bien renseignée. Le Limousin était effectivement la bonne destination.
L’équipe de tournage est arrivée en Corrèze à la fin du mois d’octobre 2014. C'est-à-dire après la récolte des goldens. A cette époque là, juste avant la chute des feuilles, les arboriculteurs couvrent la végétation de fines gouttelettes chargée de cuivre. Parce que la cueillette et la chute des feuilles en début d’hiver se traduisent par un grand nombre de petites cicatrices qui sont autant de voies d’entrée pour le chancre à nectria. L’eau des pluies se charge par la suite d’un peu du cuivre déposé sur les rameaux et les feuilles et devient ainsi toxique pour le champignon qui ne peut se développer. En fonction de la pluviométrie, une deuxième application est souvent nécessaire pour couvrir toute la période de la chute des feuilles.
Ces traitements au cuivre sont souvent associés à de l’urée pour accélérer la décomposition des feuilles une fois tombées à terre, puis balayées et broyées. Parce que ce sont les feuilles qui hébergent la forme hivernante de la tavelure. Par cette prophylaxie, l’inoculum au printemps est bien plus faible et la protection contre ce fléau s’en trouve allégée.
Pour ces pulvérisations d’après récolte, rien n’a vraiment changé depuis au moins un demi-siècle. Urée mise à part, les vergers en agriculture biologique reçoivent aussi ce traitement au cuivre avant l’hiver. Il est à noter que ces deux applications ne concernent pas les pommes évidemment. Elles ne sont plus sur les arbres quand elles ont lieu. Pour autant et quelle que soit la période, pour le non initié, ces pulvérisations sont toujours spectaculaires et suspectes.
Ce 28 octobre, l’association Allassac ONGF (Œuvrons pour la Nature et pour les Générations Futures) organisait une manifestation sur la place du village pour demander à la municipalité de prendre des mesures pour la protection des riverains contre les épandages de pesticides. Quelques manifestants avaient revêtu des combinaisons blanches intégrales et des masques, le tout recouvert de têtes de mort et de slogans anti pesticides. Banderoles, petits pulvérisateurs à dos avec lance, scènes de mimes de pulvérisations, tableaux d’après que tout le monde soit mort et couché par terre, les images étaient parfaites pour passer aux infos régionales sur FR3 et dans la presse. Valérie Rouvière n’en manque évidemment pas une miette. Mais finalement ces scènes grotesques de kermesse ne seront pas retenues pour l’émission.
L’après midi, l’équipe de tournage tente donc de rencontrer un arboriculteur de la commune emblématique des antis pesticides, « Allassac, plus belle ville du monde ». Et c’est Jean Jacques qui découvre froidement qu’il a attiré la fièvre médiatique. Mais voilà, Jean Jacques n’est pas Pierre. Il a déjà payé cher pour savoir que le reportage ne sera certainement pas une ode à son beau métier et à ses talents d’agronome. Il sait surtout que le matin même l’équipe filmait la manif au village. Alors il demande quand même par curiosité à la dame sa carte de presse. Aie, patatras, il semble qu’elle lui ait été retirée bien avant celle de Pascale Clark. Parce qu’elle est elle aussi productrice et tire principalement ses revenus des produits peu ragoûtants qu’elle vend aux chaines. C’est sans doute aussi pour ça qu’il n’y a pas trace de ses talents dans l’excellent dictionnaire amoureux du journalisme écrit par Serge July dont je vous conseille la lecture. Mais je m’égare.
Les palabres durent longtemps, la caméra filme ici ou là. Une petite équipe est en train de cueillir la variété tardive, rustique et gouteuse Sainte Germaine De Lestre dans un verger. Mais une heure trente plus tard Jean Jacques toujours très ferme et résolu éconduit ses visiteurs sans les autoriser à diffuser leurs images. Non mais !
Evidement cela renforce cette impression à charge que l’arboriculteur a quelque chose à cacher. Les images floutées de Jean Jacques que l’on entend dire la voix brouillée pour qu’elle soit méconnaissable qu’il faut s’adresser au service communication de la coopérative crédibilisent l’accusation. A moins que le spectateur ne soit pas dupe, tant il a été abreuvé de ce type de ficelle, de caricature du réel. Et puis que vaut-il mieux ? Se retrouver Gros-Jean comme devant, à l’instar de Pierre qui s’est bien fait amocher sa pomme ? Ou bien se préserver de toute atteinte à son image quand on n’a pas confiance du tout en celui qui a les ciseaux du découpage en main? Je vous laisse deviner mes avisés lecteurs.
C’est donc le célèbre lanceur d’alerte Fabrice Micouraud qui est sollicité pour montrer comment les arboriculteurs empiètent sur l’espace privé et public des habitants et quelle menace ils représentent pour eux. Un guide pour l’éclaireuse économiquement soumise et subjective du public.
Cet ancien policier municipal libéré très tôt de son travail s’est fortement engagé par la suite pour dénoncer les dangers des pesticides et demander une meilleure protection des riverains. Il est le créateur principal de l’association Allassac ONGF dont il a été longtemps le président. Il a ainsi choisi de reprendre le képi pour mettre au pas les arboriculteurs des alentours qui le voient quelquefois patrouiller en 4 X 4 sur les routes communales. Cécile Descubes, journaliste à FR3 Limoges assure, un peu comme le ferait une attachée de presse, la promotion de ses initiatives les plus imagées et spectaculaires. Jusqu’à donner corps artificiel et médiatique « au triangle de la mort ». Malgré l’Etat, malgré l’Europe et toutes les normes et réglementations qui encadrent l’homologation et la mise en ouvre des produits phytosanitaires. Malgré le suivi technique hors pair des arboriculteurs dans le Limousin, malgré tout ce qui fait que la France n’a pas grand-chose à envier à l’Italie, à l’Allemagne ou au reste du monde en matière de sérieux des pratiques agricoles, rien n’y fait, la situation est toujours gravissime selon Fabrice. La critique est facile mais l’art de l’arboriculture lui, est bien plus difficile. Je veux donc saluer et soutenir ici l’initiative que prend l’association Allassac ONGF de créer un verger sans pesticides d’aucune sorte. Nous serons très attentifs aux voies nouvelles qui pourront ainsi être proposées pour faire évoluer les pratiques des arboriculteurs. Nous sommes très friands de ces expérimentations que nous menons nous mêmes.
Les arboriculteurs se sont pourtant voulu irréprochables dès que les premiers conflits sont apparus. C’est ainsi que sous l’égide du Préfet, en présence d’Allassac ONGF et d’un large tour de table d’élus, de techniciens et d’arboriculteurs, une charte de bon voisinage a été établie qui définit un ensemble de règles destinées à permettre une cohabitation apaisée et respectueuse entre habitants et pomiculteurs. Une première en France qui doit faire école.
Manifestement selon Fabrice, les arboriculteurs sont malgré cela toujours loin du compte, comme Christian va pouvoir en témoigner enfin devant une caméra pour une grande chaine nationale payée par le contribuable.
Jérôme dinait avec des collègues jeudi dernier. Ils regardaient ensemble France 2, sans illusions aucune. « Mais c’est mon voisin » s’est-il exclamé en découvrant la tête tourmentée de Christian. Stupeur et interrogations s’entremêlaient chez Jérôme. Quoi, son voisin Christian, un lointain membre de la famille avec qui il est le seul encore à s’entendre sur la commune. Celui avec qui il était un temps au conseil municipal. Christian qui est un peu fâché avec tout le monde maintenant, que même avec le maire ce n’est plus tout rose. Mais pourtant Christian, il vient à la journée vergers ouverts l’été chez lui Jérôme. Il vient cueillir avant le début de la récolte quelques Galas, des golden. Et puis après la récolte il est encore autorisé à venir cueillir les pommes oubliées, surtout les Granny Smith dont il fait provision. Et puis encore tout l’hiver Christian sait qu’il peut avoir des pommes à l’exploitation. Comment se fait-il que Christian ne lui ait jamais rien dit. Et que là, devant trois millions de téléspectateurs il vienne expliquer qu’il l’arrose généreusement avec des produits toxiques quand il traite son verger. Cinquante fois par an, qu’il dit subir ce calvaire Christian.
Jérôme est serein. Il a de bonnes relations avec tout le monde. Sans lui faire trop de fleurs, chacun sait qu’il est rigoureux dans la conduite de son verger. Il est respecté. Alors Jérôme est forcément allé voir Christian le lendemain pour comprendre la raison de tout cela. Et comme il ne manque pas d’humour, il est venu avec du lave vitre et un chiffon. « J’ai appris hier soir que je t’avais badigeonné tes carreaux avec mes pulvérisations, alors je suis venu les nettoyer » lui a-t-il dit pour rompre la glace. Sourire de madame mais réserve de monsieur. Enfin la discussion s’engage. Comment a-t-il pu dire qu’il y avait 50 traitements en sachant que c’est parfaitement impossible ? Et puis la maison se trouve à 50 mètres du verger, pas possible de salir les vitres de la maison. D’autant plus qu’en bordure de sa propriété à 8 mètres des pommiers, il a des arbres qui font écran. En revanche, ce n’est pas faute de lui dire à Christian qu’il ne faut pas désherber les fossés autour de chez lui au Roundup, que d’ailleurs des photos ont été prises alors qu’il pulvérisait, comme il le fait lui tout le temps. Et puis ses tomates, il les voit quand il traite son verger, elles sont peintes en bleu tant il met de bouillie bordelaise dessus. Et pour tout ça, quand il traite, il ne porte aucun équipement de protection individuelle. Alors dans ses cheveux forcément on doit pouvoir en retrouver du produit. Mais au fait, ils t’ont trouvé quoi dans les cheveux. « Bin pas grand-chose finalement ». « Et comment tu as pu dire devant 3 millions de téléspectateurs que tes carreaux étaient badigeonnés de produit ? ». « Ah, 3 millions de téléspectateurs quand même ! Bin l’histoire elle plaisait beaucoup à la dame. Et Fabrice ça lui paraissait nécessaire aussi. Je fais partie de l’association quand même…. »
Au prochain épisode mes chers lecteurs nous irons du côté Lubersac pour tenter de comprendre comment on y pratique la médecine et comment on y diagnostique les maux du village et des alentours. Parce que je pense ici sur ce blog que le making of et l’envers du décor de ce reportage d’Envoyé Spécial, ça soigne des maux qu’il provoque.
A suivre…
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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