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Pourquoi il faut absolument soutenir le travail saisonnier en agriculture.

C’est une à une que l’on cueille délicatement à la main les pommes sur les arbres à l’automne. En ce moment, c’est au tour des variétés tardives comme Fuji, Délisdor ou Pink Lady d’être soigneusement prélevées dans les vergers des terroirs de France. Déjà, bien avant la récolte, au printemps et encore à la main, il a fallu parfaire la répartition des fruits sur l’arbre et en limiter le nombre. Chaque pomme devient ainsi plus belle et les rameaux refleurissent mieux l’année suivante. Bien sûr aussi, l’hiver précédent avec à la main un sécateur, les arbres ont été taillés pour en contrôler la croissance et l’éclairement. Au total, chaque année, un hectare de verger de pommiers nécessite en plus de tous les autres soins à apporter entre 600 et 800 heures de travail saisonnier.

L’arboriculture, la viticulture, le maraîchage et l’horticulture ont un besoin très élevé de travailleurs à plusieurs moments cruciaux des cycles végétatifs des plantations et des semis. Ce surcroît de travail ne nécessite pas une main d’œuvre très qualifiée et les agriculteurs accueillent largement depuis toujours toutes les bonnes volontés. Etudiants, jeunes et moins jeunes à la recherche d’un emploi, retraités en nécessité d’un complément de revenu, itinérants des saisons mais aussi chômeurs de longue durée en réapprentissage du travail, tous se retrouvent dans les vergers, les vignes, les champs ou les serres à différents moments de l’année. Et puis bien sûr, là où se concentrent les besoins, à la condition d’offrir un logement et beaucoup d’heures de travail chaque semaine, les saisonniers affluent maintenant de Pologne, de Roumanie, de Bulgarie et encore d’Espagne, du Portugal ou du Maroc.

Ces travaux, à faible valeur ajoutée, souvent durs physiquement et exposés aux intempéries, occupent une fonction à part sur le marché de l’emploi. Ils forment comme un immense chantier d’accompagnement vers des situations plus stables pour un grand nombre de personnes à qui l’accès aux emplois normés est temporairement interdit. Une saison est un entrainement, une école de l’effort. En découle le plus souvent une solide motivation à se dépasser pour ne plus avoir à y revenir encore et encore.

Dès 1985, un dispositif spécifique d’allègement de charges sociales a été institué pour le travail saisonnier en agriculture. Compte tenu de la faible productivité attendue de ces travaux, de la très vive concurrence à bas prix à nos frontières et de l’intérêt de garder une production arboricole, viticole, maraîchère et horticole dans nos territoires, les gouvernements successifs depuis cette date ont toujours maintenu voire renforcé le soutien au travail occasionnel.

La particularité essentielle du dispositif appelé TO-DE (Travailleurs occasionnels, demandeurs d’emploi) c’est de prendre pour assiette le salaire horaire quand les autres allègements se calculent de manière dégressive à partir du salaire mensuel. Pour accomplir dans un temps compté les travaux comme pour motiver à la mobilité que nécessite l’accès aux lieux de travail, il faut souvent augmenter le temps de travail largement au-delà des 35 heures hebdomadaires. Pour autant, c’est bien la rémunération horaire et le coût de revient unitaire de l’heure de travail qui sont à prendre en considération pour être cohérent avec les objectifs de compétitivité et de soutien au travail peu qualifié. D’autant plus que ces allègements spécifiques sont limités à 119 jours par salarié et par an pour un même employeur.

Quand la dégressivité des allègements commence au-delà de 1.25 fois le SMIC horaire avec TO-DE pour s’interrompre à 1.50 fois, le dispositif général appelé Fillon est dégressif dès le dépassement du SMIC mensuel et s’interrompt au-delà de 1.6 SMIC. La volonté affichée du gouvernement de supprimer le dispositif TO-DE au 1er janvier aurait donc pour conséquence concrète d’augmenter dans des proportions très élevées et donc insupportables le coût du travail saisonnier comparativement à ce qu’il est à ce jour. D’autant plus que cette année encore le CICE, c’est-à-dire l’avoir fiscal de 6% des rémunérations brutes s’ajoute aux allègements de charges TO-DE.

En la matière il faut s’abstenir d’un calcul macro-économique sur l’incidence budgétaire pour le pays comme pour l’agriculture du passage d’un système à l’autre qui montrerait des masses presque équivalentes. Les comptes de résultats des employeurs de main d’œuvre saisonnière ne se remettront pas de cette approche globale. C’est bien employeur par employeur que l’augmentation insupportable de charge s’appliquera. Toutes les simulations indiquent qu’ils seront nombreux à ne pas se relever du changement brutal d’une règle qui dure depuis 1985 et qui a déterminé des équilibres économiques bien impossibles à modifier structurellement dans l’instant.

La situation sera bien pire encore pour les groupements d’employeurs qui se sont constitués à partir de 2000, incités par un décret à réunir plusieurs exploitations et des saisons complémentaires afin d’offrir des contrats à durée indéterminée éligibles au dispositif TO-DE à des demandeurs d’emploi.

Au fil de l’ancienneté et d'une meilleure qualification, ces saisonniers permanents ont amélioré leur salaire horaire. Certains ont même dépassé le seuil de 1.25 fois le SMIC horaire auquel débute la dégressivité des allègements. D’autres sont même au-delà de 1.5 fois le SMIC et sont donc sortis du dispositif. Mais un très grand nombre de salariés bénéficient toujours des allègements et sont en CDI. L’augmentation très substantielle de leur coût sera insupportable pour les employeurs membres du groupement. L’incitation des pouvoirs publics s’avérera être devenue un piège puisque ces employeurs ne pourront pas chercher à réduire leurs coûts en ayant recours à une main d’œuvre saisonnière gérée et optimisée dans la limite des allègements du régime général. Ils sont liés par des contrats à durée indéterminée qu’il sera quasiment impossible de rompre autrement que par la faillite des exploitations membre du groupement.

Les députés alertés depuis des semaines et des mois dans les départements ont semble-t-il compris la déconfiture économique inévitable dans laquelle la suppression du dispositif TO-DE plongerait nombre d’exploitations ainsi que les conséquences néfastes sur l’emploi dans la ruralité. Le gouvernement en revanche maintient son projet de suppression en arguant d’une amélioration du régime général des allègements de charge sur les bas salaires et en commençant la dégressivité à partir de 1.15 fois le SMIC mensuel. Le résultat catastrophique sera le même. La prudence nécessite plutôt de maintenir le dispositif existant. Et bien sûr de l’améliorer pour compenser la perte du CICE. Ce qui ne ferait que revenir au niveau allègements qu’avait obtenu Bruno Le Maire en 2009.

Le solde agroalimentaire de la France continue sa lente et constante dégradation avec des importations de fruits et de légumes qui ne cessent d’augmenter. La cause principale étant si l’on en croit la note Trésor-éco d’octobre du ministère des finances que le coût du travail a augmenté plus vite en France que chez ses concurrents. A l’heure de ces constats plus qu’inquiétants, il est plus que jamais indispensable d’amplifier les soutiens au travail saisonnier en agriculture en renforçant le dispositif TO-DE existant.  

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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C
Le Président Macron a rappelé lors de son discours que c’était son engagement de ne pas sur transposer les règles européennes. Ce n’est malheureusement pas ce que nous constatons au quotidien et nous l’avons rappelé.
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